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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

PREDICATION 6 NOVEMBRE 2016 . TOUS SONT VIVANTS



Evangile de Luc 20.27-38
27 Alors s’approchèrent quelques Sadducéens. Les Sadducéens contestent qu’il y ait une résurrection. Ils lui posèrent cette question:
28 "Maître, Moïse a écrit pour nous: Si un homme a un frère marié qui meurt sans enfants, qu’il épouse la veuve et donne une descendance à son frère.
29 Or il y avait sept frères. Le premier prit femme et mourut sans enfant.
30 Le second, 31 puis le troisième épousèrent la femme, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d’enfant.
32 Finalement la femme mourut aussi.
33 Eh bien! cette femme, à la résurrection, duquel d’entre eux sera-t-elle la femme, puisque les sept l’ont eue pour femme?"
34 Jésus leur dit: "Ceux qui appartiennent à ce monde-ci prennent femme ou mari.
35 Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts ne prennent ni femme ni mari.
36 C’est qu’ils ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils aux anges: ils sont fils de Dieu puisqu’ils sont fils de la résurrection.
37 Et que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même l’a indiqué dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob.
38 Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car tous sont vivants pour lui."
39 Quelques scribes, prenant la parole, dirent: "Maître, tu as bien parlé.

PREDICATION
Sadducéen. Encore un mot étrange pour le commun des mortels. Qui s'intéresse encore à eux aujourd'hui ? Pourtant, eux ils semblaient, d'après ce texte, s'intéresser à Jésus, à ses idées, à son mouvement.
Qui étaient-ils ? Qui sont les acteurs en présence ? C'est ce que nous allons voir rapidement dans un premier temps.
De quoi est faite la controverse évoquée dans ce récit C'est ce que nous verrons nous dans un deuxième temps
Qu'en dit Jésus ? Sa parole peut-elle nous intéresser ? Troisième temps.
Les sadducéens.
Le mot déjà « sadducéen » provient de l’expression « fils de Sadoq », le grand prêtre du temple de Salomon. Au temps de Jésus, les sadducéens étaient le groupe de prêtres responsables du temple. Ils collaboraient avec le pouvoir politique romain. L’aristocratie sacerdotale de Jérusalem était sadducéenne. Flavius Josèphe, un historien de l’époque, les qualifie de riches.Et ce même historien qui était pourtant un pharisien lui-même raconte :
« Les pharisiens ont transmis au peuple certaines règles qu'ils tenaient de leurs pères, qui ne sont pas écrites dans les lois de Moïse, et qui pour cette raison ont été rejetées par les saducéens qui considèrent que seules devraient être tenues pour valables les règles qui y sont écrites et que celles qui sont reçues par la tradition des pères n'ont pas à être observées. » (Antiquités juives, XIII-297).
Ainsi donc, ils ne croient pas à la resurrection, ni aux anges, ni à un Dieu qui s'assimilerait au destin. On pourrait dire qu'ils croient au libre arbitre. On pourrait aussi les qualifier de littéralistes - car ils s'en tiennent à ce qui est écrit - mais les pharisiens, qui croient à une Loi Orale, qui deviendra plus tard le Talmud, ne sont pas plus libéraux qu'eux. C'est au nom de cette Loi Orale qu'ils explicitent la loi écrite, prétendant en faciliter l'application, mais se trouvant accusés - en tous les cas selon les évangiles - de la rendre impossible, et ainsi de se garder pour eux le pouvoir de juger et de trancher.
J'ai une certaine affection pour les Sadducéens déjà parce qu'ils ne prétendaient absolument pas à la conquête de l'esprit du Peuple, contrairement aux Pharisiens, qui sembler former de véritables patrouilles morales...Une certaine affection aussi puisqu'ils ont été balayés par la destruction du Temple de Jérusalem, conduite par le fameux Titus,  celui qui a été surnommé "délice du genre humain" qui deviendra Empereur en 79, soit 9 ans après la victoire en Judée, et le massacre de milliers de juifs.
Repérés par le même Flavius comme des gens qui aimaient bien les débats d'idées, il ne serait pas étonnant qu'un jour, ils soient allés vers Jésus, pour lui poser une colle.
Ils vont vers Jésus, personnage récurrent des évangiles.
Jésus, lui, on ne sait pas trop ce qu'il est. Et puis comment dire. Vous remarquerez qu'on arrive facilement à analyser la religion de l'autre. A décrire ses prophètes, ses dieux, ses rites...
Mais déjà,  on a peu de mal à se dire que soi-même on est dans une religion. On le sait mais pour nous, c'est un peu une religion-monde. La plupart des chrétiens ne se posent pas la question. Jésus, fait "partie" . C'est comme une chaise. On ne va pas s'embêter à savoir ce qu'elle est. Elle est là. Voilà. Le reste, ce sont des inutiles élucubrations. Néanmoins, si par désir de voir plus grand, on en vient à s'interesser à cette question, on découvre un Jésus à la formation assez mixte. On sent qu'il pense comme les Pharisiens, mais souvent aussi comme les Esseniens, une autre secte de l'époque, qui aurait sans doute quelque chose à voir avec le mentor de Jésus, Jean Le Baptiste, ou le site de Qumran, des gens austères. Des sortes des moines. Et puis à la fin, on peut quand même se rendre compte que beaucoup de ses paroles qui nous ont été transmises, sont quand même définitivement singulières...
De quoi est faite la controverse évoquée dans ce récit ?
La question est donc : resurrection , oui, ou non ?
Quelques uns des sadducéens vont donc vers Jésus, en lui posant une colle, qui prend la forme de l'histoire de cette pauvre femme et de ses septs maris. Histoire au bout de laquelle le décompte des morts s'élève à 8. Les 7 maris, plus la femme.
Si je peux me permettre de le noter, il y a une certaine ironie dans cette question, une espèce de non-dit : imaginez :si le deuxième frère a pu rester confiant en allant appliquer cette règle qu'on appelle le Lévirat :
je m'interromps un peu pour dire quelque chose de cette règle qui s'appliquait un peu partout dans l'antiquité, en lisant simplement deutéronome 25 où elle est inscrite, qui montre que le Lévirat, aussi inconcevable soit il aujourd'hui était une règle palliative pour protéger les femmes :
5Lorsque des frères demeureront ensemble, et que l'un d'eux mourra sans laisser de fils, la femme du défunt ne se mariera point au dehors avec un étranger, mais son beau-frère ira vers elle, la prendra pour femme, et l'épousera comme beau-frère. 6Le premier-né qu'elle enfantera succédera au frère mort et portera son nom, afin que ce nom ne soit pas effacé d'Israël. 7Si cet homme ne veut pas prendre sa belle-soeur, elle montera à la porte vers les anciens, et dira: Mon beau-frère refuse de relever en Israël le nom de son frère, il ne veut pas m'épouser par droit de beau-frère. 8Les anciens de la ville l'appelleront, et lui parleront. S'il persiste, et dit: Je ne veux pas la prendre, 9alors sa belle-soeur s'approchera de lui en présence des anciens, lui ôtera son soulier du pied, et lui crachera au visage. Et prenant la parole, elle dira: Ainsi sera fait à l'homme qui ne relève pas la maison de son frère. 10Et sa maison sera appelée en Israël la maison du déchaussé.
Donc, si le deuxième frère a pu rester confiant - ou pas vraiment prêt à subir cet affront public, et si éventuellement, après la mort du deuxième, le troisième a pu se dire que après tout tout cela n'était qu'une coincidence, le quatrième a pu se commencer à se poser des questions et commencer à y aller à reculons, quant aux 3 derniers, ils ont dû être terrifiés de s'approcher de cette femme .
Ironiques, sans doute, ces Sadducéens cultivés, et malins aussi pour exacerber, d'une part, à travers ce qui n'est jamais qu'une fable, les conséquences absurdes d'une loi quand on l'applique à la lettre... et d'autre part pour prouver que cette histoire de résurrection est absurde, puisqu'en effet, avec qui sera-t-elle mariée, "au ciel".
[entre parenthèse, vous avez ici la justification de la théorie sacramentelle du mariage catholique, qui est une belle façon de résoudre le problème] [les protestants ne commentent pas mais sans doute que dans ce cas, c'est la dernière bénédiction de mariage qui compte....] [ah, la casuistique, tellement absente, ainsi que tout élément de droit canon, dans les études de théologie protestantes...]
Les sadducéens ne croyaient pas à la ressurection, mais peut on vraiment leur en vouloir ? Y aurait il des attentats suicides associées à des promesses fantaisistes, si une croyance similaire n'existait pas ? Croiriez vous qu'il y aurait un tel mépris collectif pour le lendemain, si la croyance au sur lendemain n'était pas encore massive, même de façon intuitive ? Qu'ai je à faire du lendemain, si mes surlendemains sont assurés ? Au contraire, si finalement, ils ne le sont pas, cela permettrait d'associer le lendemain à l'aujourd'hui, car sans la croyance- d'une manière ou d'une autre à la résurrection, tout deviendrait en quelque sorte un "aujourd'hui". Tout deviendrait important.
Je me souviens d'une comédie américaine récente où des juifs pas trop pratiquants se retrouvent être forcés par leur mère à vivre à la lettre les règles du deuil, par exemple rester assis pendant des jours en recevant la famille. Et du coup, assis, ils se posent ce genre de question . - On croit à la vie après la mort, nous ? - Non, je crois que les juifs n'y croient pas vraiment... [et c'est vrai que cette idée n'est pas une idée très ancienne dans la Bible..] et l'autre répond, en substance : ces chrétiens sont plus malins, ils ont vraiment le sens du marketing.
Qu'en dit Jésus ?
La réponse de Jésus dans ce texte me laisse pantois. Sauf la fin, et c'est sa finale j'évoquerai particulièrement, comme message nutritif, pour ce matin.
En gros Jésus commence par dire que ce n'est pas le problème. Qu'en gros, ces histoires de mariage ne concernent pas j'ai bien entendu " ceux qui ont été jugés dignes d’accéder à ce monde-là et à la résurrection d’entre les morts, qui ne prennent ni femme ni mari..."
On sent là chez Jésus, un relent "essenien", les Esseniens, s'ils n'étaient pas tous des célibataires, étaient quand mêmes des sortes de moines végétariens avec des règles très strictes, dont on pu trouver des traces d'un courant apparenté à celui de Qumran, ou chez Jean Le Baptiste, qui a baptisé Jésus.
Cela me laisse pantois et pourquoi ?
Parce qu'en fait, je m'imagine le haussement d'épaules de ces aristocrates qu'étaient ces sadducéens qui se croyaient malins avec leur fable épouvantable. Cela a dû aussi laisser pantois des pharisiens qui auraient pu écouter Jésus à ce moment-là, mais aussi laisser tout le monde pantois finalement, regardant son mari ou sa femme à ce moment là, d'un drôle d'air.
Mais disons que cette première partie de réponse a un grand intérêt tactique. " vous n'avez qu'à pas vous marier, et le problème sera réglé"
Même si elle ne répond évidemment pas à la question des sadducéens, elle sort Jésus du problème qui lui est posé. En gros Jésus n'est pas là pour régler des problèmes de casuistiques entre les sadducéens et les pharisiens. Il est là pour manifester le règne de Dieu, pas pour faire de l'arithmétique théologique.
Ensuite Jésus tente d'argumenter en faveur de la resurrection d'une façon bien singulière, en rappelant que Dieu est le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Alors que cette formule rappelle simplement le début de la lignée des partriarches, lui, il dit que si c'est le Dieu de ces trois là, c'est qu'aucun d'entre eux n'est mort définitivement mort, car ça n'aurait aucun sens, alors d'employer cette formule. Jésus est en effet confronté au fait brut qu'il n'y aucune croyance en la ressurection proprement dite dans la Torah. Quand on meurt, c'est fini. Tout passe. Mais Dieu demeure éternellement. Mais alors, si c'est ça, pourquoi dire qu'il est le Dieu d'Abraham,d'Isaac et de Jacob, s'ils sont tous morts... Jésus joue avec la lettre de la formule. Un peu comme si nous osions nous dire que " liberté, égalité , fraternité" devait s'appliquer dans notre vie courante ! On n'est pas des fondamentalistes ! [Dans certains domaines des certaines valeurs, il serait bien en tous les cas, que nous soyons un peu plus littéralistes. Je m'égare.]
Et puis après ça, une pensée singulière commence à apparaitre...qui n'est pas que de l'astuce.
Jésus à ce moment là change la manière de concevoir la croyance en la resurrection. Au lieu de dire, comme les sadducéens, que la vie après la mort n'existe pas, au lieu de dire, comme les pharisiens, que la vie avant la mort conditionne la vie après la mort, il ne part même plus du point de départ duquel nous partons, nous, quand nous essayons de penser à cette question... A savoir, la vie indivuelle. Jésus dit, la mort n'existe pas réellement. Il n'y a que de la vie.
Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants, dit-il. Pour lui, c'est à dire de son point de vue à lui, et non pas de notre point de vue à nous qui ne pouvons pas voir plus loin que le bout de notre vie, pour lui, conclut-il, TOUS SONT VIVANTS.
Et là, ce n'est plus pantois qu'il me laisse, c'est fasciné. Avec sa réponse, il se distingue des sadducéens, et leur hautaine perception finalement assez blasée du monde, mais aussi des pharisiens qui inventent mille procédures pour angoisser tout le monde sur cette question parmi d' autres.
Avec sa vraie réponse finale, il rejoindrait les dernières hypothèses vulgarisées de la physique contemporaine, qui considère que le temps n'existe pas et qu'il a la forme d'un espace, que nous ne pouvons concevoir, mais qui est un espace où tout se déroule simultanément, le passé, le futur, le présent.... Cela donne le tournis, mais cela réveille un autre point de vue, tout simplement celui d'un Dieu réellement éternel, règnant sur un espace éternel, mouvant, mais où effectivement, de ce point de vue "éternel", il n'y a plus que des vivants....qu'ils soient morts, ou pas...
Nul doute que les Pharisiens, qui croyaient quand même que Jésus était un des leurs, ne partagent pas ce point de vue là... Mais qui peut partager le point de vue de celui dont on dira qu'il est, en corps et en souffle, la Parole éternelle de Dieu, dans toute sa sublime singularité ?
Alors oui, voici ce message pour aujourd'hui . Dieu est le dieu des vivants. Vous pouvez déjà vous dire cela, que votre religion n'est pas un pansement contre la mort. Que nos rituels ne sont pas que des rituels funèbres un peu masqués. Et cela vous permettra de comprendre cette exigence évangélique de l'engagement dans le monde de ceux qui y vivent ou qui y survivent.
Et si vous allez plus loin, vous irez contempler l'éternité où tous sont vivants.
Et vous vous direz qu'un jour, certes dans notre esprit limité, un jour que vous renverrez à la notion d'après, un jour après... le jour du seigneur, le jour unique, vous comprendrez, et serez compris dans cette éternité, dans la lumière de ce jour, vous comprendrez vraiment la notion de vie éternelle, qui n'est pas une vie sempiternelle, mais qui est la vie même du Dieu, d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et de toute cette multitude jusqu'à vous...et cette eternité vient déjà vous toucher, au coeur même de votre temporalité, au coeur même de votre vie, elle est déjà sensible. Elle est un appel.
AMEN.
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