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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

PREDICATION DU 6 DECEMBRE 2015 " Athlétisme spirituel"

RACHETEZ LE TEMPS



Colossiens 4.2-18

Consacrez-vous assidûment à la prière ; par elle, veillez, dans l’action de grâces. 3Priez également pour nous, afin que Dieu nous ouvre une porte pour la Parole et que se dise le mystère du Christ, pour lequel je suis en prison ; 4que j’en parle clairement comme je dois en parler. 5Comportez-vous avec sagesse envers ceux du dehors. Rachetez le temps. 6Que votre parole soit toujours accompagnée de grâce, assaisonnée de sel, pour que vous sachiez comment vous devez répondre à chacun.


 

PREDICATION

Les protestants ne pratiquent pas l'ascèse. Pourtant, ascèse ce n'est qu'un mot grec qui signifie exercice, un mot qui vient de l'athlétisme, de athlon qui signifie combat.

Donc l'ascèse c'est de l'exercice pour le combat.

Pourquoi je viens vous parler de ça. C'est parce qu'il est particulièrement évident, quand on lit les lettres de Paul, que les premiers croyants au Christ étaient invités à pratiquer l'ascèse, c'est à dire des exercices, pour dire qu'il était évident qu'ils se soumettaient à une discipline dont nous avons quelques échos dans le passage de la lettre aux Colossiens que nous avons entendu.

Mais je ne crois pas qu'il s'agisse d'une ascèse qui corresponde à notre image habituelle d'une vie ascétique, faite de souffrance, de privation, de pénitence plus ou moins consentie.

D'ailleurs au chapitre 2 de cette même lettre, l'auteur de celle ci se livre à une magnifique et rare diatribe contre une ascèse, dans le sens devenu commun pour nous.

16Que personne donc ne vous juge au sujet du manger ou du boire, ou au sujet d'une fête, d'une nouvelle lune, ou des sabbats: 17c'était l'ombre des choses à venir, mais le corps est en Christ. 18Qu'aucun homme, sous une apparence d'humilité et par un culte des anges, ne vous ravisse à son gré le prix de la course, tandis qu'il s'abandonne à ses visions et qu'il est enflé d'un vain orgueil...

20Si vous êtes morts avec Christ aux rudiments du monde, pourquoi, comme si vous viviez dans le monde, vous impose-t-on ces préceptes: 21Ne prends pas! ne goûte pas! ne touche pas! 22préceptes qui tous deviennent pernicieux par l'abus, et qui ne sont fondés que sur les ordonnances et les doctrines des hommes? 23Ils ont, à la vérité, une apparence de sagesse, en ce qu'ils indiquent un culte volontaire, de l'humilité, et le mépris du corps, mais ils sont sans aucun mérite et contribuent à la satisfaction de la chair.

Dans notre extrait du jour, est évoqué l'assiduité à la prière qui permet de rester "en éveil" - parce que ce n'est pas tout d'être réveillé dans le sens d'une église de "réveil", il faut rester éveillé. Qui d'entre nous aussitôt réveillé le matin n'a pas été tenté de se rendormir ? Rester en éveil pour l'action de grâce qui est donc un exercice conscient, je veux dire par là que louer le Seigneur n'est pas compatible avec un état hypnotique, du type louange de masse collective. Il s'agit d'un exercice, et faire de l'exercice, c'est un acte de volonté, et vouloir, par définition c'est un acte conscient. C'est l'exact opposé du bercement. Une louange ce n'est pas une berceuse...

Paul dans sa liste d'exercices recommande de se comporter avec sagesse envers ceux du dehors, c'est à dire ceux qui n'ont pas considéré que Jésus était le Messie , des autres juifs, des tenants d'autres cultes. Se comporter avec sagesse, cela veut bien dire accepter d'user de son savoir faire, en l'occurence de son savoir argumenter, user de sa connaissance, en l'occurence des divers contextes où la parole des Colossiens pourraient vouloir s'implanter. Cela ne veut donc pas dire se contenter de brailler ou d'asséner. Cela ne veut pas donc pas dire employer des moyens violents, y compris des moyens rhétoriques ou psychologiques violents, ne laissant pas le choix à ceux qui sont d'emblée désignés comme des adversaires puisque par définition ils ont tort, puisqu'ils sont "dehors".

L'ascèse dont parle Paul dans ce court passage est d'abord celle de la prière et de la louange consciente, qui fait des disciples des veilleurs, mais c'est aussi bien entendu l'ascèse, l'exercice de la Parole, liée à la sagesse, une parole qu'il recommande d'assaisonner de grâce d'une part, c'est à dire une parole qui ne va pas immédiatement mortifier son destinataire ou lui faire peur ou l'enfermer dans des paradoxes insoutenables et aussi de sel, pour qu'elle ait du gout qu'elle se distingue.

Voilà pour l'introduction. Etre disciple requiert une discipline, celle ci est faite d'exercices qui ne sont pas juste des propositions vagues, ou même une routine pour la routine, mais qui ont un objectif

Au milieu de ces recommandations , sommes toutes assez usuelles, que nous comprenons mieux quand nous ne les identifions plus à des obligations morales mais à des exercices d'athlètes spirituels vivant un combat, il y en une que l'on retrouve aussi, dans un autre contexte dans la lettre aux Ephésiens, qui sonne immédiatement comme mystérieuse. C'est "RACHETEZ LE TEMPS"
 

Qu'est ce que ça peut vient vouloir dire. Le temps ici ce n'est pas le chronos, ou la durée, mais le Kairos, assimilé dans la culture grecque à une sorte de Dieu, représenté souvent comme un éphèbe, dont il s'agit de saisir la mèche de cheveux, et ne pas la saisir est dommageable. C'est un temps que nous n'avons pas dans notre lexique temporel en français, mais que l'on retrouve dans les expressions comme "occasion favorable" ou " opportunité".

Kairos, le temps favorable, qu'il s'agit ici de racheter. Sans doute, évidemment, parce qu'on l'a laissé filer. Lui et sa mèche de cheveux. Nous étions sans doute trop pesants, trop lourds, trop gros, trop vieux spirituellement, pas assez exercés pour le saisir.

C'est l'ascèse centrale, l'exercice le plus spécifique de cette liste d'exercices. Qu'est ce que cela peut bien vouloir dire ?
D'abord, et maintenant on comprend bien pourquoi, cela nécessite d'être, et de rester en éveil. La veille ce n'est pas juste l'idée de rester éveillé pour rester éveillé, c'est d'abord pour être en condition de saisir l'opportunité, le Kairos, quand il passe. Prier, rendre grâce, ce n'est pas juste prier pour prier, louer pour louer, mais c'est une discipline qui permet de se mettre en condition pour saisir le moment de grâce quand il passe. Toute l'ascèse des ces croyants au Christ, toute ce qu'hélas une déformation ritualiste a pu nous faire passer comme des fins, n'était qu'une discipline pour un objectif, celui de "racheter le temps", de ne plus laisser filer la grâce qu'auparavant notre lourdeur indisciplinée nous avait fait rater. Nous sommes vraiment ici dans des catégories spirituelles et athlétiques, car avoir raté le Kairos, c'est avoir raté sa cible, et rater sa cible, c'est le malheur du tireur à l'arc évidemment, mais c'est la définition même du "péché". Etre discipliné au point de "racheter le temps" c'est mener le combat contre le péché et gagner des victoires c'est atteindre sa cible.
Il ne s'agit pas de racheter le chronos, l'autre terme parlant du temps en grec. Pourquoi ? Parce que celui ci n'est qu'un drame sans fin et sans espoir. Celui ci c'est bien connu dévore ses enfants. Le temps de l'histoire n'est qu'une succession de drames et de morts, notre temps d'existence n'est qu'un champ de mine, nous venons de la poussière pour y retourner,. Il n'est concevable ce temps qu'au travers d'une narration tout à fait incapable d'en faire ressortir la beauté puisque celle ci n'est pas de l'ordre du chronos, mais justement du Kairos. La Ville de Colosse subira un tremblement de terre en l'an 60, s'il fallait raconter son histoire on raconterait cet événement dans la longue tragédie des événements catastrophiques de cette Asie Mineure.

Alors il nous est proposé un choix somme toute assez simple. Le premier choix n'en est pas un, il n'est juste que l'acceptation passive d'une fatalité dont nous avons à peine conscience. Celle du temps qui passe, et qui repasse, sempiternellement, nous offrant sans cesse le même récit et nous proposant de devenir nous même le temps qui passe. Est il une fiction ce temps, un mythe, qu'importe, nous devenons nous mêmes une huile de ses rouages. La vie ne tient plus que par la distraction qui n'est pas ce que l'on croit habituellement, mais un simple moyen d'échapper à cette amoncellement qui de toutes façons va nous écraser et nous effacer. Celui qui contemple le temps historique passé d'ailleurs ne voit que ça, des milliards de personnes effacées et oubliées, car le temps ne nous parlera jamais d'autre chose, à moins que justement, nous pratiquions l'exercice du rachat de ce temps spécifique qui est le Kairos.

Au milieu de la nasse du temps, un choix peut être fait, celui non pas simplement de se laisser couler avec le fleuve, mais comme un baptisé qui aurait pu être noyé par les mains vigoureuses d'un Jean le baptiseur, de décider de se relever de l'eau, d'entre la mort, d'entre l'indifférence. Le premier rachat du Kairos est celui de soi-même, relevé plutôt que noyé.

Et alors, cette ascèse là devient un mode de vie. Je saisirai par exemple ce fragment de sens que j'avais oublié au fond d'une théorie et qui m'ouvrira de nouveaux chants de compréhension, je racheterai une partie de mon temps perdu à croire que je ne valais rien, je saisirai à nouveaux frais les éléments nouveaux d'une création qui auparavant était de la banalité. Je reverrai mon frère et ma soeur différemment, si toutefois j'ai cette discipline, et que celle ci ne devient pas juste un truc, et pour que ça ne devienne pas un truc, oui, je resterai en éveil, pour que la bonne nouvelle que je vais transmettre ne soit pas une nouvelle fois une vieille recette, mais qu'elle soit bonne et qu'elle soit nouvelle. Je saisirai le temps d'une Eglise qui n'a plus à obéir au temps, je me releverai de l'eau de mon baptême et je rencontrerai mes frères et soeurs sur la berge, qui eux aussi, désormais, savent saisir l'occasion favorable qui est le passage de Dieu dans leurs existences. Qui Savent désormais saisir l'éternité au sein même de leur existence passagère. AMEN

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