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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

-- Prédication 10 mai 2015 Comment éviter l'amour tragique--



LECTURES 

 

Jean 15.12-13; 17

12Voici mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. 13Personne n’a de plus grand amour que celui qui se défait de sa vie pour ses amis.

 

17Ce que je vous commande, c’est que vous vous aimiez les uns les autres.

 

1 Samuel 17.55-18.5  55

Lorsque Saül avait vu David sortir à la rencontre du Philistin, il avait dit à Abner, le chef de l’armée : De qui ce garçon est-il le fils, Abner ? Abner avait répondu : Par ta vie, ô roi, je ne le sais pas ! 56– Renseigne-toi donc pour savoir de qui ce jeune homme est le fils, dit le roi. 57Quand David fut de retour après avoir tué le Philistin, Abner le prit et l’amena devant Saül. David avait à la main la tête du Philistin. 58Saül lui dit : Mon garçon, de qui es-tu le fils ? Et David répondit : Je suis le fils de ton serviteur Jessé, le Bethléhémite.  18 1Dès que David eut achevé de parler à Saül, Jonathan s’attacha à David ; Jonathan l’aima comme lui-même. 2Ce même jour Saül retint David ; il ne le laissa pas retourner chez son père. 3Jonathan conclut une alliance avec David, parce qu’il l’aimait comme lui-même. 4Il ôta le manteau qu’il portait pour le donner à David, ainsi que ses habits et même son épée, son arc et sa ceinture. 5David partait en campagne partout où l’envoyait Saül, et tout lui réussissait ; Saül le mit à la tête des hommes de guerre et il plut à tout le peuple, même aux gens de la cour de Saül.

 

 

2 Samuel 1 …

 

25Comment des héros sont-ils tombés au milieu du combat? Comment Jonathan a-t-il succombé sur tes collines? 26Je suis dans la douleur à cause de toi, Jonathan, mon frère! Tu faisais tout mon plaisir; Ton amour pour moi était admirable, Au-dessus de l'amour des femmes. 27Comment des héros sont-ils tombés? Comment leurs armes se sont-elles perdues?

 

PRÉDICATION

Malgré l'abondance des textes du jour cette semaine, qui parlent d'aimer, bien qu'au travers de la lecture des livres de Samuel on découvre [et spécialement aujourd'hui] l'attachement de Jonathan pour David, attachement dont la réciprocité s'exprimera par la complainte de David, hélas au moment du détachement - après la mort de Jonathan,

Et bien qu'aussi évidemment le synode de l'Eglise Protestante Unie de France va cette semaine prendre une décision au sujet de la bénédiction des couples mariés de même sexe.

Malgré tout ce contexte chargé, je ne vais pas aborder " ce sujet", du moins pas spécifiquement.

 

D'abord

 

parce qu'une prédication n'est pas un exposé thématique,

 

ensuite

 

parce que j'espère qu'après ce synode nous sortirons- d'une façon ou d'une autre - de cette mauvaise dramaturgie, où chacun qui avait sans doute le secret sur ce dont il était question a pu jouer son rôle, dire sa réplique ...

 

mais surtout,

 

surtout parce que je ne comprends pas vraiment de quoi il s'agit

Il aurait été peut-être préférable, avant de se lancer dans cette aventure pas tellement dialectique, mais de mise en juxtaposition de monologues, juste avant, de s'apercevoir pleinement que,

 

aimer une personne particulière et être aimé par cette même et seule personne spécifique - le premier verbe actif désignant sans nul doute un sentiment, le verbe au passif "être aimé" étant lui, plutôt de l'ordre du frisson vif , incertain, je ressens l'amour de cette personne particulière et distinguée, non pas de celui ci celle là qui partage ma vie - car cette expression ne veut rien dire, mais de celui-ci ou de celle là qui vit avec moi , avec qui je voyage, mon élu de qui je suis l'élu - j'en ai fait le serment - intime, républicain, religieux - mais j'ai promis, lui ai promis, ai entendu sa promesse -

 

oui, on aurait pu s'apercevoir de quoi, avant ...et bien qu'aimer et être aimé, c'est ça la bénédiction.

C'est une bénédiction extraordinaire.

 

La bénédiction liturgique et en particulier d'un point de vue que j'estime protestant, en est une redondance...une belle redondance... mais qui ne sert à rien sauf si elle dit ça : que cet attachement réciproque et consenti, ce voyage particulier dans les affres et les bonheurs de ces deux existences est une bénédiction, que la liturgie re-dit.

 

C'est pourquoi, quand j'ai vu des synodes régionaux s'écharper sur ce thème - quand je m'aperçois que des gens "votent" sur " la bénédiction", s'assemblent en "atelier", quand je m'attends au synode national au décorticage de formules, je ne comprend pas. Je reste idiot. Et puis, tour de force extraordinaire, hormis quelquefois sur un mode descriptif, allant de soi, hormis comme un préambule , personne ne parle d'amour. Car dans cette discussion, l'amour ne semble pas être la question... Je viens d'un temps ancien où au collège en cours de sciences naturelles on nous offrait des grenouilles à décortiquer. Inutile de dire que j'y voyais pas la bio -logique. Quel interêt y a t -il à tuer une grenouille, pour lui faire ensuite re-battre son coeur avec des impulsion electriques ?


C'est pourquoi si mon Eglise dit oui, ou si elle dit non, je continuerai à me rappeler, et à rappeler aux gens qui me feront le bonheur de croiser ma route que aimer une personne et être aimé par cette même personne, c'est déjà la bénédiction, une extraordinaire chance pour avancer sur une route qu'on tente d'emprunter ensemble sans rien savoir rien du lendemain, ni sur notre destination, juste en sachant que tout, d'une façon ou d'une autre, peut s'arrêter d'un coup.

 

Je veux clore sur ce sujet là, mais j'entends l'argument " oui mais alors on fait quoi ?". Je réponds : on rappelle ce qu'est la bénédiction. C'est d'abord une parole faite acte qui engendre une volonté d'en parler, d'annoncer la bonne nouvelle , et non pas, d'abord un geste ecclesiastique délivré sur autorisation et en fonction de normes. "oui mais alors on fait quoi?" . L'interlocuteur fictif veut me pousser dans les retranchements.

 

On ne fait rien. Il n'y a strictement rien à faire. Et si le synode refuse de bénir ? Réponse : il ne peut pas y arriver.

 

Voilà donc le premier point inspiré par le contexte ecclesiastique.

 

Venons en maintenant à L'histoire , le "mythe" de Jonathan et de David, incessamment commenté depuis toujours.

Jonathan, qui aime David, dont le sentiment déborde jusqu'au narrateur, et David qui lui exprimera son sentiment, après la mort de Jonathan, dans sa fameuse complainte.

Plutôt qu'une histoire d'amour homosexuel, je vois là surtout une histoire d'amour tragique et impossible. Jonathan est le fils de Saul, David est le rival messianique de Saul, et de plus David venait juste de se marier avec Mikal, fille de Saul, rivale donc de son frère....

La qualification de cet amour comme homosexuel n'est pas pertinente, mais elle ne l'est pas comme ne l'est pas toute forme de qualification dans ce domaine complètement indéfini qu'est le sentiment d'amour.

Cela n'ajouterait rien. L'un aime l'autre. Et il meurt. Et l'autre pleure. Ce que je vois simplement, c'est que, s'il y a eu "pacte" il n'y a pas eu cette bénédiction que j'évoquais tout à l'heure. Il n'y a pas eu la vitalité du " moment de réciprocité" . C'est comme si deux personnes entreprennent de construire une relation d'amour - que l'un exprime son sentiment, et puis meure. Et que l'autre, après sa mort dise "moi aussi". Comme toutes ces déclarations d'amour qui peuvent, autour d'une tombe, arriver trop tard. C'est comme quand on en reste au vendredi saint.

 

C'est une belle trame tragique, et ceux qui cherchent à en savoir plus, se trompent de sujet. De tout temps, des hommes ont aimé d'autres hommes, ne serait ce que pour partir à la guerre, de tous temps, des femmes ont aimé des femmes, ne serait ce que pour être solidaires en attendant le retour des hommes de la guerre. Depuis toujours la philia est une force. Et tous ceux qui ont eu des meilleurs amis, ont pu aussi parfois avoir l'impression tragique de n'être pas le meilleur ami de leur meilleur ami.

 

Mais ces sentiments là on ne les qualifie pas. On reste vague. C'est de l'amour, de l'attachement, de l'admiration, du désir, c'est un peu de tout ça entremêlé. C'est indéfinissable. Simplement, ce qui se passe entre Jonathan et David, c'est essentiellement tragique. Et s'il y a une bonne nouvelle ici, ce serait de proclamer la nécessité de se rendre compte de la bénédiction quand elle est là. Avant que le moment favorable soit parti en fumée. Pour réussir à ne pas juste avoir tout pour écrire une belle complainte. Pour qu'une fois, la tragédie ne soit pas notre unique genre littéraire. Pour qu'on n'en reste pas aux aromates...

 

C'est pourquoi maintenant j'en viens aux commandements d'amour au pluriel, celui du Lévitique, qui s'adresse au sujet pour l'inviter à construire la relation avec le prochain, une parole qui est de l'ordre de la promesse tu aimeras , et celui de Jésus dans Jean, qui est un commandement adressé à une communauté particulière mais à vocation universelle : "aimez vous les uns les autes"

 

Oui d'accord, c'est génant que l'on en soit réduit à aimer par ordonnances. Mais c'est juste parce que nous sommes des personnes assourdies par cette créature immonde qui habite en nous et que nous appelons notre "ego", c'est pourquoi il nous faut une voix encore plus forte , dans laquelle notre ego va se retrouver piégé : il croyait encore se satisfaire de s'aimer lui même comme lui même dans son habituelle boucle de vanité et il se prend une parole plus forte, et il est piégé : comme toi même (mmm) tu aimeras ton prochain.

 

Mais pourquoi au fond ? Pourquoi aimer ?

 

Pour participer de cette bénédiction. Pour la ressentir, la vivre, pour en prendre du plaisir. Regardez vous les uns les autres. Aimeriez vous vous aimer les uns les autres ? Et sentir aussi le frisson incertain d'être aimé par ce prochain , celui-ci, ou celle là. Pourquoi vous aimerait- elle, cette personne ? Parce que vous être aimables ? Non, parce qu'elle a juste compris qu'il vaut mieux aimer avant de mourir, alors votre coeur va s'ouvrir et vous allez devoir - car il s'agit bien de devoir- ressentir le frisson incertain , sans repère précis d'être aimé.

 

C'est l'Eglise. Ce n'est pas une assemblée disparate d'itinéraires spirituels particuliers. C'est une assemblée de personnes qui accomplissent le devoir de vivre cette bénédiction multi réciproque avant de mourir, et qui se trouvent réellement gonflés pour annoncer la bonne nouvelle que cet amour existe, qu'il est la bénédiction de base, y compris pour tous ceux et celles qui comme Jonathan et David ratent leur pacte.

 

Oui mais c'est quoi cet amour, demanderait un membre délibératif d'un synode qui commencerait à s'éveiller à une discipline autre que procédurière...mais qui voudrait une définitition, pour éventuellement la mettre au vote.

 

Il faudrait peut-être lui dire, à ce délégué, que répondre à cette question reviendrait sans doute à vouloir définir ce Dieu, souvent cité dans les préambules de motions adverses, ce serait sans doute vouloir faire un cliché au milieu d'un mouvement... Un selfie , en somme " comme toi-même" 

 

Ou alors non, il faudrait lui demander s'il a envie d'oser faire surgir ce sentiment de lui, et s'il a osé éprouver la délicatesse du frisson d'être aimé.

 

AMEN

.


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