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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

SI CHACUN ÉTAIT RESTÉ CHEZ SOI

Prédication du 13 février 2022



Par Robert Philipoussi

predication_13_fevrier_2022.mp3 Prédication 13 février 2022.mp3  (31.57 Mo)

LECTURE MARC Chapitre 5 (traduction NBS)

Chapitre 5

 

 

1 Ils arrivèrent sur l’autre rive de la mer, dans le pays des Géraséniens. 2Sitôt qu’il fut descendu du bateau, un homme sortant des tombeaux et possédé d’un esprit impur vint au-devant de lui. 3Il avait sa demeure dans les tombeaux, et personne ne pouvait plus le lier, même avec une chaîne ; 4car souvent il avait eu les fers aux pieds et avait été lié de chaînes, mais il avait rompu les chaînes et brisé les fers, et personne n’avait la force de le maîtriser. 5Il était sans cesse dans les tombeaux et sur les montagnes, nuit et jour, criant et se blessant avec des pierres.

6 Il vit Jésus de loin, accourut, se prosterna devant lui 7et cria : Pourquoi te mêles-tu de mes affaires, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut ? Je t’en conjure au nom de Dieu, ne me tourmente pas ! 8Car Jésus lui disait : Sors de cet homme, esprit impur ! 9Il lui demandait : Quel est ton nom ? – Mon nom, lui répond-il, c’est Légion, car nous sommes beaucoup. 10Et il le suppliait instamment de ne pas les envoyer hors du pays.

11 Or il y avait là, près de la montagne, un vaste troupeau de cochons en train de paître. 12Les esprits impurs supplièrent Jésus : Envoie-nous dans ces cochons, que nous entrions en eux. 13Il le leur permit. Les esprits impurs sortirent, entrèrent dans les cochons, et le troupeau se précipita dans la mer du haut de l’escarpement. Il y en avait environ deux mille ; ils se noyèrent dans la mer.

14Ceux qui les faisaient paître s’enfuirent et répandirent la nouvelle dans la ville et dans les hameaux, et les gens vinrent voir ce qui s’était passé. 15Ils arrivent auprès de Jésus et voient le démoniaque assis, vêtu et avec toute sa raison – lui qui avait eu Légion – et ils eurent peur. 16Ceux qui avaient vu ce qui s’était passé leur racontèrent ce qui était arrivé au démoniaque et l’histoire des cochons. 17Alors ils se mirent à supplier Jésus de s’en aller de leur territoire.

18 Comme il montait dans le bateau, celui qui avait été démoniaque le suppliait de le garder avec lui. 19Il ne le lui permit pas, mais il lui dit : Va-t’en chez toi, auprès des tiens, et raconte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi, comment il a eu compassion de toi. 20Il s’en alla et se mit à proclamer dans la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui. Et tous étaient étonnés.

PREDICATION

 

Avant d'entrer dans un récit comme celui ci, il faut d'abord bien se rappeler que si les évangiles racontent les histoires de Jésus, ils nous disent l'époque où ils ont été écrits, des décennies plus tard, nous racontent ce qu'est devenue cette bonne nouvelle, comment elle se donne et se diffuse. C'est particulièrement vrai pour le récit que nous allons suivre en marchant sur son fil conducteur, duquel nous tomberons de temps en temps pour parler d'autre chose, car c'est un récit fabuleux, qui évoque beaucoup d'autres choses que lui-même.

 

La première idée qui peut venir en méditant ce texte, c'est cette recommandation a posteriori :

si chacun était resté chez soi, si je peux me permettre, les cochons auraient été bien gardés.

 

Déjà Jésus . Il quitte son microcosme pour aller de l'autre côté de la mer de Galilée, vers l'Est, dans le territoire de la décapole, une ligue de villes bâties par des colons grecs qui se satisfont à cette époque de la domination romaine pour faire leur commerce.

Les évangiles divergent sur la localisation exacte de cet événement.

Nous dirons simplement que les évangiles en décrivant Jésus qui passe d'une rive à l'autre, d'une frontière à l'autre, d'une situation hyper particulière à une autre, décrivent une bonne nouvelle qui n'est pas autochtone.

 

 

Jésus est sorti de son microcosme, mais notre véritable héros du jour, cet être qui n'a pas de nom, qui est indomptable, comme dit littéralement le texte grec, mi-animal mi-homme donc, celui qui vit mais qui vit dans les tombes, et donc après avoir dit mi-animal mi homme, on va dire aussi mi-vivant mi-mort, quelqu'un en tous les cas, qui se fait souffrir lui-même.

Bref, tout bien considéré, vraiment quelqu'un comme vous et moi ! Remémorez-vous sa description et vous verrez. Continuons.

Ce quelqu'un, brusquement , en apercevant cet étranger qu'est Jésus, sort lui aussi de son microcosme. Comme dans une espèce de parodie de résurrection, il sort de ses tombeaux. Une parodie oui, une résurrection manquée, puisqu'il n'est pas encore tout à fait sorti de tout, et que tout n'est pas encore sorti de lui.

Le récit indique qu'il est dans un esprit impur, mais on s'aperçoit dans le dialogue que cet esprit impur, avant que nous le découvrions plusieurs, est aussi dans lui. Donc oui, s'il est sorti de ses tombes, ce qui est déjà ça, il n'est pas sorti de ses esprits impurs, ni ceux-ci ne sont sortis de lui, ils le possèdent et lui il continue à les contenir.

Une possession réciproque et somme toute banale. Quand vous avez une maladie, c'est bien elle qui vous possède, quand vous avez de l'argent, ou des biens, une famille, c'est en général eux qui en grande partie, vous possèdent. Dans ce récit, ce sont des esprits impurs mais c'est la même histoire, c'est le même jeu de qui possède qui.

 

Et là sur le trajet représenté par un fil qui nous conduit d'un bout à l'autre de ce récit, je fais une pause.

 

Pour faire un point sur les esprits impurs et autre démons. Les démons n'existaient pas dans la culture juive classique mais dans les textes du nouveau testament, ils sont les enfants facétieux de l'union de cette culture sémitique et de la religiosité grecque, cet espace mental dans lequel Jésus pérégrine, sur lequel les évangiles s'écrivent. Pour respecter le mot grec : Le daimon (NDR en grec bien prononcer daImon') ici dénommé esprit impur, mais ensuite cet homme sera appelé celui qui avait été possédé par un daimon, donc c'est bien de cela qu'on parle, cet être sans âme mais quand même très animé bien qu' invisible, en passant par le latin a donné en français : le génie, et aussi cette croyance que chacun a son daimon, son génie . Socrate lui même aimait bien son daimon, qui lui soufflait, paraît-il ses réponses. Et nous connaissons tous des personnes qui ont le génie de la musique, du mal, des maths ou que sais-je.

Quand nous disons parfois que quelqu'un est génial, non seulement nous sommes des héritiers inconscients de cette culture grecque, mais, nous affirmons simultanément la joie qu'il y a d'être on va dire d'être possédé par un certain type de daimon, daimon avec lequel nous nous serions bienheureusement accordés, dont nous serions l'hôte et dont nous serions les hôtes, toujours dans ce rapport réciproque, mais je ne dirai pas ça, ce serait un peu trop provocateur, de nous souhaiter une possession démoniaque (mais avec un bon daimon).

Le problème de notre indomptable, c'est qu'il est devenu un véritable garage à daimons. Un ça va, ça peut être génial, mais trop, c'est trop. Légion, ils sont, ces daimons. Ce qui rend le comportement de cet homme parfaitement associal. Il l'est, associal, comme tous ceux qui sont peuplés par trop de voix en eux, en général contradictoires, voix issues d'éducations contradictoires, voix qui forment un choeur disharmonieux, voix qui ne se parlent pas entre elles. Voix disparates qui parfois engendrent une forme de dissociation.

 

Remontons sur notre fil, en prenant donc le risque de tomber une nouvelle fois.

Jésus n'aurait jamais du sortir de sa Galilée,

L'homme, de ses tombeaux,

et les daimons, de cet homme car après tout :

 

ils ne voulaient pas sortir, dit le texte, 10Et il le suppliait instamment de ne pas les envoyer hors du pays (entre parenthèses ce « il » de il le suppliait est un singulier, donc c'est vraiment l'homme qui supplie qu'on lui laisse ses daimons, à moins que les daimons parlent par sa bouche?)

 

Et ce qui est insuffisamment remarqué dans ce texte, parce que ça va troubler inévitablement la conception on va dire religieusement correcte que nous aurions de Jésus, c'est qu'en fait Jésus prend soin de ces pauvres démons.

 

Je relis : 10Et il le suppliait instamment de ne pas les envoyer hors du pays.

 

11Or il y avait là, près de la montagne, un vaste troupeau de cochons en train de paître. 12Les esprits impurs supplièrent Jésus (cette fois ci ce sont les démons qui parlent)  : Envoie-nous dans ces cochons, que nous entrions en eux. 13Il le leur permit.

 

Les démons voulaient rester dans leurs pays. Comment ne pas voir dans cette remarque un trait d'ironie de l'évangéliste qui nous sous-entend que, les démons, eux, préfèrent ne pas sortir de là où il sont. En revanche, vous, communauté chrétienne, et qui trouvaient dans mon évangile à moi Marc, de la nourriture pour votre mission, vous n'êtes pas des génies casaniers, vous êtes de ceux qui doivent apporter au monde ce qu'il attend depuis longtemps.

 

Je retombe de mon fil :

Une autre ironie parallèle qui n'a pu échapper aux lecteurs de Marc, qui sont à Rome, c'est de voir cette Légion, peut être romaine, comparée à des daimons, infiltrant des cochons et se noyant comme le peuple des poursuivants du peuple hébreu dans la mer des joncs.

 

Je remonte sur mon fil :

Les cochons auraient été bien gardés si les daimons avaient accepté de sortir vraiment, plutôt que de vouloir à tous prix trouver un autre lieu d'accueil très proche.

Et ironie dans l'ironie, ces daimons qui ne voulaient pas sortir, pourraient être aussi une métaphore des esprits impurs qui n'ont pas encore compris que l'évangile de Dieu c'est pour tout le monde, et qui sont envoyés dans les cochons, symbole on ne peut plus évident du paganisme. Donc en gros, c'est vers les contrées où il y a des cochons qui paissent qu'il faut aller; en plus il s'agit de 2000 cochons, c'est-à-dire une multitude et en plus, dans la mer, la mer qu'il faut prendre pour aller ailleurs, se déplacer, la mer qu'il faut cesser de craindre quand on est du peuple hébreu qui trouve que la mer, c'est justement le lieu le plus démoniaque qui soit, car les hébreux ne sont pas des marins, la mer qu'a pris l'évangile du Christ pour se propager autour de la méditerranée.

 

Et un récit bien construit, comme toujours, sait boucler son thème principal, ce qui est le cas ici. Les gens consternés et effrayés par ce qui était arrivé à l'homme et aux cochons prient Jésus de sortir de leur territoire, illustration très simple d'une bonne nouvelle qui doit rester nomade.

 

Et, l'homme, celui qui est devenu enfin humain, demande de rester avec Jésus. Qui lui répond : non. Tout simplement parce que cet homme est déjà sorti, qu'il est déjà ailleurs et qu'il est à même, là où il est, de proclamer la bonne nouvelle car il est devenu un étranger dans son propre pays.

Que nous dit ce texte en somme ? Il dit que si chacun reste chez soi, dans tous les sens du terme, le génie de l'évangile sera bien gardé. Il nous dit que si Jésus n'était pas sorti de Nazareth, nous ce matin nous ne serions surement pas là, que ce lieu- là n'existerait même pas, et toute son histoire avec, et comme dans un monde parallèle, nous verrions le gros et centainaire registre des baptêmes de Port Royal s'évanouir sous nos yeux. Et il y a un peu plus d'un mois, vous n'auriez pas fêté Noël. Oui, si tout le monde était resté chez soi, personne n'aurait dit, à la fin de cette prédication: AMEN.


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