"À quoi servons-nous ?"

Prédication par Robert Philipoussi, Maison Fraternelle



Luc 13.6-9

 

6Il disait aussi cette parabole : Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint y chercher du fruit et n'en trouva pas. 7Alors il dit au vigneron : « Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n'en trouve pas. Coupe-le donc : pourquoi occuperait-il la terre inutilement ? » 8Le vigneron lui répondit : « Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je creuse tout autour et que j'y mette du fumier. 9Peut-être produira-t-il du fruit à l'avenir ; sinon, tu le couperas ! »

 
 

PRÉDICATION

La parabole est un objet littéraire singulier, qui a de fortes chances de faire partie des formes d'enseignement de Jésus. Ensuite on dirait que chaque évangile les adapte à son contexte littéraire. Même celui de Thomas, un évangile très ancien, qui n'a pas été admis dans le nouveau testament, cite des paraboles, et les adapte à son contexte particulier, gnostique, dualiste.

Avec les paraboles, j'éprouve quelque chose de la sensation de ceux qui marchent dans Jérusalem, ou en Galilée, qui se disent, tiens, il a peut-être marché ici, enseigné là.

Quand je lis des paraboles, je me dis, tiens , il a peut-être réellement raconté cette histoire, ces histoires destinées à faire changer d'intelligence, à engendrer un procès de changement de perception- à favoriser la conversion. Mais il faut des oreilles pour les entendre.

Mais je me dis aussi qu'il a raconté des histoires destinées à lui faire percevoir, à lui, ce qu'il vivait, ce que profondément, il pensait de ce qu'il était en train de vivre. Des sortes de mini autobiographies.

Oui, souvent je me dis que Jésus raconte sa vie, ou du moins, telle qu'il la projette. Peut-être ces paraboles la racontent sans qu'il le veuille, comme si leur côté universel, venait d'une stricte intimité, et qu'il enseignait universellement à partir de ce qu'il vivait, singulièrement.

Celle ci en particulier. La parabole dite du figuier stérile.

Nous y voyons une vigne, en son milieu, un arbre, qui ne porte pas de fruits depuis 3 ans. Trois ans, voilà qui évoque une durée possible du ministère de Jésus. Dans ces quelques lignes, un débat entre un homme, propriétaire du terrain, et un vigneron.

Cet arbre pourtant magnifique qu'est un figuier, ne porte pas de fruit, et le propriétaire s'en plaint, ennuyé de l'inutilité de cet arbre, pensant peut être à sa nocivité, puisqu'il puise ses ressources dans la terre d'une vigne qui elle, doit rester productrice.

Le vigneron négocie, propose de s'en occuper encore un peu, et il semble retourner la situation en "ordonnant" presque au propriétaire, au cas où le figuier resterait dans sa stérilité, de le couper lui-même. J'ai fait cette paraphrase pour vous signaler l'étonnant employé donnant des ordres à son employeur, étonnant employé qui refuse d'assumer un ordre qui ne lui convient pas.

Je pense alors à Jésus, crucifié, sur un bois mort. Crucifié par la main humaine. Jésus coupé en pleine vie car il n'était a priori d'aucun profit pour aucun pouvoir, et qu'il semblait nuisible à tous, à ceux qui espéraient, à ceux qui profitaient, à ceux qui régenter, à ceux qui faisaient la loi. Cette parabole évoque peut-être la main du propriétaire, qui n'ayant pas réussi à ce que ce nuisible soit abattu par ceux qui le suivaient, a finalement coupé.

Le vigneron, celui qui a tenté de négocier pourrait représenter tous ceux qui pensaient peut-être qu'il fallait encore un peu plus de temps pour que les graines semées s'accomplissent.

Oui, le vigneron évoque peut-être tous ceux et celles qui l'ont laissé être coupé par quelqu'un d'autre. Malgré tout leur espoir, malgré toute leur désobéissance, ils n'auraient finalement fait que « laisser faire » que laisser la fatalité se faire. Un échec donc . Il a été déraciné à Golgotha.

Mais nous restons avec cette phrase du vigneron :

"peut-être à l'avenir donnera t il du fruit"

Cet avenir nous y sommes et si nous avons quelque capacité à être bouleversé par l'évangile, ce sera à nous de déterminer si la mort de Jésus sanctionne une stérilité, ou si en nous, autour de nous, dans l'avenir de cette parabole, c'est à dire aujourd'hui, des fruits naissent, comme si cet arbre là n'avait pas été déraciné.

Nous restons avec une question spirituelle et morale très forte.

"ce qui ne porte pas de fruit ou pas de fruit immédiats et évidents , en gros, qui ne rapporte pas d'argent a t il une raison d'exister ?"

Des exemples arrivent par dizaines, si tant est que nous voudrions illustrer cette question. Le vieillard inutile, l'enfant déficient, l'employé incapable, l'homme ou la femme stérile, la paroisse déclinante, le cadre n'atteignant pas ses objectifs, des lignes de trains non rentables, la sécurité sociale, le culte du soir de notre paroisse et j'en passe. Ou, dans ce monde qui a du mal à se réveiller de la malédiction du bizness : la spiritualité , la sagesse. Enfin, celles -ci quand elles ne sont pas déjà devenue des parts de marché.

Cette question est vorace, elle concerne notre Eglise protestante, qui par exemple en région centre alpe rhône réalisé des ventes de bâtiments non rentabilisés par des communautés actives, mais elle concerne aussi nous même, notre propre situation, dans notre contexte.

A quoi servons nous ? Quel fruits finalement portons nous ? Sommes nous rentables ? Est ce que nos projets l'année prochaine vont être rentables, vont ils faire venir des nouvelles personnes, rassurer nos finances ? Permettre à notre Eglise de vivre pleinement ?

 

Cette parabole nous invite déjà à réfléchir à notre situation en d'autres termes que celui de la rentabilité immédiate.

 

Revisitons cette parabole.

De qui vous sentez vous le plus proche ?

Du propriétaire ? Qui a juste titre a envie que sa vigne produise vraiment sans être embarrassée par cet arbre inutile ...

 

Du vigneron ? Qui défend cette inutilité, en prétendant - mais qu'en sait il au fond, que cet arbre ne sera pas toujours stérile.

Et s'il était beau, cet arbre, et si son service c'était d'être là, d'exister, d'être beau comme un arbre peut l'être.

Assurément, bien que nous agissions souvent en propriétaire rationnels, sentimentalement nous préfèrerions quand même nous figurer comme le vigneron, pris entre deux feux, deux morales, deux pressions, nous préférerions être avocat que bourreau c'est certain, c'est normal.

 

Mais si nous étions en fait le figuier ? Dont la vie dépend d'une négociation entre ceux qui préfèrent la vie et l'espoir et ceux qui préfèrent le rendement. Oui, le figuier, en sursis à ce moment là... Comme sans doute Jésus pensait l'être quand il racontait cette histoire si intime et si universelle.

 

Il est interdit, si on la respecte de conclure le cheminement intérieur que peut provoquer une parabole.

 

Par une morale.

 

Je vous invite simplement à planter cette parabole au coeur de notre société du rendement, et de voir si elle arrive à porter du fruit. Maintenant, ou dans l'avenir.

 

Et si vous réussissez cette plantation, de cette parabole dans vos cœurs, et bien, comment dire, vous aurez réussi votre conversion. Vous serez convertis.

 

AMEN

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