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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

AUJOURD'HUI

Prédication du 5 janvier 2020, par Robert Philipoussi



Le paralytique de Capharnaüm Luc 5, 17-26

 

Luc 5 [17] Et il advint, un jour qu'il était en train d'enseigner, qu'il y avait, assis, des Pharisiens et des docteurs de la Loi venus de tous les villages de Galilée, de Judée, et de Jérusalem ; et la puissance du Seigneur lui faisait opérer des guérisons. [18] Et voici des gens portant sur un lit un homme qui était paralysé, et ils cherchaient à le faire entrer et à le placer devant lui. [19] Et comme ils ne savaient par où le faire entrer à cause de la foule, ils montèrent sur le toit et, à travers les tuiles, ils le descendirent avec sa civière, au milieu, devant Jésus. [20] Voyant leur foi, il dit : «Homme, tes péchés te sont remis.» [21] Les scribes et les Pharisiens se mirent à penser : «Qui est-il celui-là, qui profère des blasphèmes ? Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul ?» [22] Mais, percevant leurs pensées, Jésus prit la parole et leur dit : «Pourquoi ces pensées dans vos cœurs ? [23] Quel est le plus facile, de dire : Tes péchés te sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche ? [24] Eh bien ! pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, je te l'ordonne, dit-il au paralysé, lève-toi et, prenant ta civière, va chez toi.» [25] Et, à l'instant même, se levant devant eux, et prenant ce sur quoi il gisait, il s'en alla chez lui en glorifiant Dieu. [26] Tous furent alors saisis de stupeur et ils glorifiaient Dieu. Ils furent remplis de crainte et ils disaient : «Nous avons vu d'étranges choses aujourd'hui !»

Prédication

Tout le monde a remarqué que Luc, qui écrit pour une communauté pagano-chrétienne, a remplacé la terrasse de torchis propre aux maisons de Palestine dont parle Marc 2,4, par un toit de tuiles à la façon des villas gréco-romaines. Et là, tout à coup apparaît une convention que j'appellerai la convention de l' « abruti ».

Je m'explique : selon cette convention, Luc prend les gens pour des abrutis, puisqu' évidemment, selon cette convention, ils vont croire qu'en Palestine, les maisons ont des toits de tuiles. Parce qu'eux, ils en ont, des tuiles, sur leurs toits, et étant donc des « abrutis » ces lecteurs de Luc, ils ne vont pas aller jusqu'à imaginer qu'il y aurait une autre façon, de garnir les toits, qu'avec des tuiles.

Et cette convention de l'abruti va plus loin, puisque dans vos traductions classiques la partie « à travers les tuiles» pourtant dans les manuscrits grecs, n'est pas prise en compte ! Les traducteurs en arrivent à corriger le texte !

Mais cette convention de l'abruti va encore plus loin, puisqu'elle va aller s'étendre jusqu'au lecteur contemporain à qui l'ont dit «  Luc dit qu'il y a des tuiles parce que sinon ses lecteurs ne vont pas comprendre ».

Bon, face à cette convention, je voudrais dire d'abord qu'il n'y a aucune raison de considérer les gens d'avant comme des arriérés, rappelons si nécessaire que dans le temps de l'évangile, depuis 7 siècles, la philosophie grecque a déjà inventé toutes les problématiques, rappelons aussi et par exemple l'existence de Sénèque, le stoïcien Romain, qui, du temps de la publication de l'évangile de Luc, vient de suicider sur ordre de l'empereur Néron. Ensuite, on peut ajouter que Luc est un lettré, qu'il écrit dans un grec qui se rapproche du grec classique, et en déduire que ses lecteurs sont sans doutes capables de le lire.

L'on découvre par ailleurs que Luc est le roi des mystifications stylistiques, des enchâssements, des évocations discrètes des double sens, des messages cryptés. Alors, oui s'il a décidé de transformer le toit terrasse de torchis du texte de l'évangile de Marc en toit de tuiles, ce n'est pas uniquement parce qu'il était fasciné, hypnotisé par toutes les tuiles qu'il voyait, mais c'est avec une intention. Laquelle ?

Il ne le dit pas, mais il y a une intention et donc je vous livre une hypothèse. Très simple. Ce serait de dire que désormais, il faut faire passer l'évangile par nos toits à nous, et arrêter de rêvasser sur le charme exotique de cette Palestine originelle, car au fond, ça ne mène à rien, ça bloque l'interprétation. Car ce n'est pas à nous de retourner en Palestine pour y découvrir l'évangile dans une prétendue pureté originelle, mais c'est à nous de laisser passer la bonne nouvelle maintenant dans notre situation à nous, au travers de nos toits à nous.

C'était donc le premier point. Luc, selon cette hypothèse, avec son anachronisme architectural, nous expulse de la Palestine, de Capharnaüm, et nous convoque là où nous sommes, aujourd'hui. Et d'ailleurs, ce mot « aujourd'hui » est le dernier mot de ce texte si fabuleusement composé de Luc.

L'évangile a migré du passé jusqu'à aujourd'hui, et tenter de remonter le passé est un non sens, l'évangile du passé n'existe plus.

Alors d'accord mais aujourd'hui qu'est ce qui se passe ? Et bien on ne peut pas savoir ce qui se passe, car dans la réalité nous ne pouvons pas concevoir ce qui se passe car nous ne pouvons être partout à la fois. Alors certes, en lisant ce texte de Luc, on voit tout, car grâce au narrateur, on voit tout, et avec les évangiles, comme avec presque n'importe quelle littérature narrative, le plaisir de lire, c'est le plaisir de voir tout, de se jucher sur les épaules du narrateur, qui comme chacun le sait, est Dieu. Il est tellement agréable d'être un Dieu quand on lit et qu'on voit tout. Mais j'ajoute que ce dieu là n'est qu'un sous dieu, le véritable dieu est l'écrivain, qui non seulement voit tout, mais fait tout apparaître, en même temps.

Mais dans notre réalité à nous, il faut convenir que nous ne pouvons être en même temps qu'à un seul endroit à la fois.
Où ?

Au milieu de cette foule nombreuse et probablement assez compacte autour de cette maison, qui essaie de voir Jésus qui est à l'aube de sa célébrité au chapitre 5 ? Où ? Parmi les pharisiens, dont on lit ici la première confrontation avec Jésus ? Où ? Sur cette civière, porté par nos compagnons ? Où ? Parmi les compagnons eux-mêmes ?

Et bien oui lire un texte c'est regarder la scène sous tous ces points de vue, et j'ai bien entendu omis, par respect, le point de vue de Jésus lui-même.

Alors d'accord, allons-y..

Je suis dans la foule et ne vois rien de spécial. Je sais qu'il se passe quelque chose parce que sinon il n'y aurait pas tant de monde – sans me rendre compte que je suis moi-même un contributeur du fait qu'il y ait tant de monde – attiré par je ne sais quoi, la rumeur, le désir d'entendre des paroles salvifiques, ou le besoin d'être guéri. Je ne sais pas trop pourquoi je suis là, mais au fond c'est ma condition humaine basique. Je suis dans le sens suivre la foule et je me retrouve avec la foule qui donne le sens de ma présence puisque je suis un élément d'elle et qu'elle se déplace et me déplace. Peut-être que j'imagine que je suis indispensable au milieu de tant de monde.

En tous les cas, là, dans cette foule, je ne suis finalement qu'un élément du spectacle du monde et je ne fais que contribuer au fait d'assurer l'importance de l'événement, parce que je suis la foule et qu'une foule ne se déplace pas pour rien. À moins qu'elle soit elle même le spectacle.

Le lecteur interprète est donc appelé à ce moment là à se regarder lui-même être au milieu des autres et voir s'il désire ou non n'être qu'un grain de sable, et s'il désire le rester pour l'éternité. Pourquoi une lumière ne viendrait-elle pas m'éclairer moi, au milieu de cette foule et me sortir de cet anonymat utile, utile comme quand je vote utile ou quand je manifeste pour faire nombre, pour accomplir ma tache de faire nombre, car c'est cela qu'on me demande toujours. Faire nombre.

Alors, je peux rester dans la foule, où je peux m'en retire, et adopter...

 

Un autre point de vue qui serait celui d'un des membres de cette cohorte de pharisiens et de docteurs de la loi, assez nombreux eux aussi, venus de partout dit le texte, mais qui ne se considèrent pas comme la foule. On va dire qu'ils sont les forces de l'ordre moral et qu'eux aussi veulent savoir pourquoi y a-t-il tant de monde, pour qui tous gens s'agglutinent-ils. Comme s'ils n'étaient pas, eux, aussi, une composante du nombre qu'il faut former pour faire société.

 

Mais eux donc ne se voient pas comme ça, comme nous parfois, ne voyons pas que nous sommes aussi dans le nombre, quand nous nous croyons à part, parce que nous aurions, une pensée, un point de vue «  à part ». Alors que ce n'est juste qu' un point de vue de puissants. Une idéologie qui a des allures de vérité et qui nous conforte en tant que puissants qui n'ont pas ce doute qui peut saisir les faibles, faibles aussi d'avoir des doutes.

Mais si nous sommes eux, il apparaît dans ce récit que Jésus va savoir lire nos pensées. Oui, nous sommes des gens qui nous interrogeons sur Jésus parce qu'il vient de dire à cet humain sur sa civière que ces péchés lui ont été remis. De quel droit ? Se prend il pour Dieu ? Toute cette populace qui s'agite le prend elle pour un Dieu ? Blasphème. En effet.

Et c'est à ce moment là, dans cette foule spéciale des puissants que surgit la possibilité de changement, que nous allons saisir ou pas, dans le choix pour nous de rester ces gardiens de l'ordre ou de bifurquer. Nous lui reprochions de se prendre pour Dieu et il nous provoque en nous disant « qu'est ce qui plus facile, de dire à quelqu'un que ses péchés sont pardonnés ou de lui dire lève toi, et marche ? » Quelle ironie, quelle critique féroce d'une religion juste capable de distribuer des bons et de mauvais points et de faire croire qu'elle fait quelque chose alors qu'elle ne fait rien. Qu'est ce qui est plus facile, jeter des bonnes paroles, ou agir ?

Nous pouvons rester dans ce clan des puissants et de son idéologie qui ne supporte pas les vraies questions, et entretenir cette haine qui trouvera son apogée à la presque fin de l'évangile que nous lisons, ou alors, lisant ce texte, et l'interprétant, nous pouvons..

Après avoir quitté la foule, après l'avoir quittée pour rejoindre le clan des pharisiens, nous pouvons aussi quitter ce clan car les gens qui le composent sont bornés, ils sont dépassés , nous pouvons les dépasser.

 

Nous voilà donc maintenant compagnon de l'humain paralysé, et nous avons bien entendu, il a dit que c'était en raison de notre foi à nous, les porteurs, que les péchés de cet humain sur sa civière ont été remis, que c'était en raison de notre présence, de notre solidarité. Pourtant nous sommes des trois groupes, la grande foule, le clan des pharisiens, nous sommes le plus petit nombre de tous ces groupes.

Le lecteur tressaillit, se réjouit devant tant d'intelligence, il vient de lui être proposé de comprendre que l'évangile d'aujourd'hui passe par une ingénieuse solidarité, ingénieuse parce qu'elle va contourner la foule et passer par les toits, comme une voleuse, et donner de l'espérance à un frère, un ami paralysé. Et le faire se relever.

Plus on se rapproche d'aujourd'hui, ça devient évident, le texte se finit, nous ne pouvons plus qu'être cet humain dans sa civière, qui comme l'autre humain laissé à moitié mort sur la route d'une parabole que racontera Luc dans cinq chapitres, a pu compter sur un Samaritain anonyme pour être sauvé, alors qu'il ne l'avait pas été par les religieux officiels. Nous étions lui, sur notre civière, attendant la rescousse, le salut, le gain de la solidarité de nos amis. Merci.

 

Et cet humain sur sa civière, maintenant, devient cet évangile, qui a été longtemps paralysé, mais qui contournera les foules, se débarrassera des puissants, fabriquera de la solidarité, passera par les toits, et qui se relèvera et rentrera chez lui, c'est à dire, chez nous, aujourd'hui. AMEN

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