CE DONT ON DOIT SE LIBÉRER; POUR QUI ?

Une prédication par Nicolas Bonnal



Texte de la prédication

Nicolas Bonnal

Prédication NB 26 juin 2022.mp3  (39.82 Mo)

 

LECTURE

 

Luc 9, 51-62

51 Comme arrivaient les jours où il allait être enlevé, il prit la ferme résolution de se rendre à Jérusalem 52 et il envoya devant lui des messagers. Ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains, afin de faire des préparatifs pour lui. 53 Mais on ne l’accueillit pas, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. 54 Quand ils virent cela, les disciples Jacques et Jean dirent : Seigneur, veux-tu que nous disions au feu de descendre du ciel pour les détruire ? 55 Il se tourna vers eux et les rabroua. 56Et ils allèrent dans un autre village.

57 Pendant qu’ils étaient en chemin, quelqu’un lui dit : Je te suivrai partout où tu iras. 58 Jésus lui dit : Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l’homme n’a pas où poser sa tête. 59 Il dit à un autre : Suis-moi. Celui-ci répondit : Seigneur, permets-moi d’aller d’abord ensevelir mon père. 60 Il lui dit : Laisse les morts ensevelir leurs morts ; toi, va-t’en annoncer le règne de Dieu. 61Un autre dit : Je te suivrai, Seigneur, mais permets-moi d’aller d’abord prendre congé de ceux de ma maison. 62Jésus lui dit : Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas bon pour le royaume de Dieu.

 

GALATES 5, 1-6 puis 13-18

1 C'est pour la liberté que le Christ nous a libérés. Tenez donc ferme, et ne vous remettez pas sous le joug de l'esclavage.

2 Moi, Paul, je vous dis que si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien.

3 Et je l'atteste encore une fois à tout homme qui se fait circoncire : il est tenu de mettre en pratique la loi tout entière.

4 Vous êtes séparés du Christ, vous qui cherchez la justification dans la loi ; vous êtes déchus de la grâce.

5 Quant à nous, c'est par l'Esprit que nous attendons de la foi la justice espérée.

6 Car, en Jésus-Christ, ce qui a de la valeur, ce n'est ni la circoncision ni l'incirconcision, mais la foi qui opère par l'amour.

13 Mes frères, vous avez été appelés à la liberté ; seulement, que cette liberté ne devienne pas un prétexte pour la chair ; par amour, faites-vous plutôt esclaves les uns des autres. 14Car toute la loi est accomplie dans une seule parole, celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 15Mais si vous vous mordez, si vous vous dévorez les uns les autres, prenez garde de ne pas être détruits les uns par les autres.

16 Je dis plutôt : marchez par l’Esprit, et vous n’accomplirez jamais ce que la chair désire. 17Car la chair a des désirs contraires à l’Esprit, et l’Esprit en a de contraires à la chair ; ils sont opposés l’un à l’autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voudriez. 18Mais si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes pas sous la loi.

 

TEXTE DE LA PRÉDICATION

(retrouver l'audio sur cette page)

Ce texte de l’épître aux Galates m’émeut profondément. Pour des raisons très personnelles, parce qu’il était central dans la vie chrétienne de mes parents, telle du moins qu’avec une grande pudeur mais une forte conviction, ils parvenaient à la partager avec leurs enfants.

 

De sorte que je l’entends sans réfléchir comme ils l’entendaient : l’affirmation de notre responsabilité individuelle en réponse à l’amour inconditionnel de Dieu.

 

Qu’en est-il pour chacun pour nous ? Qu’est-ce pour nous que cette liberté des enfants de Dieu ? Qu’est-ce qui nous enchaîne en nous-mêmes et de quoi nous sommes ainsi libérés ?

 

Paul, qui s’adresse à des individus, et leur parle de la circoncision, une pratique dont on comprend qu’elle serait imposée aux Galates qui ne sont pas d’origine juive au moment où ils sont touchés par le message de l’évangile et décident d’entrer dans l’église qu’il a fondée, nous donne un élément de réponse. En dénonçant cette pratique, il dénonce l’enfermement dans un stérile respect de la loi.

 

Nous, aujourd’hui, nous avons tous une idée personnelle et donc très concrète de ce dont le Christ nous libère. Une idée personnelle et donc, en fait, beaucoup d’idées très diverses et variées. Qui peuvent aller d’une conception empreinte d’une vision classique d’une morale essentiellement sexuelle, comme la connotation française donnée au mot grec traduit par « chair » peut y inciter, à des visions moins réductrices : il peut alors s’agir de nous libérer de notre volonté de pouvoir, de nos désirs de succès, de l’envie, du sentiment de la culpabilité, de l’obsession d’être meilleur, et même, de façon peut-être paradoxale, de l’épuisement au service des autres lorsqu’il est tentative désespérée d’échapper au sens de culpabilité ou de bâtir l’image qu’on veut non moins désespérément que les autres aient de nous.

 

Ce n’est pas par cette approche individuelle que je veux méditer ce texte ce matin. Je vous propose plutôt de nous demander ce que nous dit, collectivement, ce message de l’apôtre Paul ?

 

Il n’est pas illégitime de se poser cette question sous cet angle. Paul écrit en effet à des individus constitués en communauté et, comme on le comprend au début du passage, au-delà du choix individuel de certains convertis de se faire circoncire, c’est bien un choix collectif des Galates à qui il écrit qu’il dénonce, celui d’exclure les incirconcis, et de limiter le message de Jésus au seul peuple juif, ou à ceux qui décident de se placer sous sa loi.

 

Ainsi le débat sur la loi et la circoncision est autant un débat collectif qu’un dilemme individuel. On pourrait le résumer à un débat sur l’attitude qui doit être celle de la communauté face à la persistance d’anciens enfermements.

 

Ainsi reformulée, on voit bien que ce type de questions ne concerne pas seulement les Galates du premier siècle, mais aussi leurs lointains cousins que nous sommes, ex-Gaulois du XXIème siècle. Constitués en communautés ecclésiales, certes, mais aussi en communauté nationale. C’est autour de cette dernière que je veux concentrer mon propos.

 

Car c’est d’autant plus, pour elle, le moment de se les poser que, collectivement, nous nous trouvons encore, après quatre dimanches d’élection, face à des débats collectifs qui sont très loin, c’est le moins qu’on puisse dire, d’être tranchés.

 

Rassurez-vous, je ne vais pas comparer les programmes des uns et des autres. Mais essayer d’appréhender les débats auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés en termes d’enfermement et de liberté, exactement comme le faisait Paul avec ses Galates à lui.

 

Ce qui revient à rechercher quels sont les enfermements dont une communauté nationale, et au premier chef la nôtre, doit se libérer.

 

Je vous propose des pistes qui nous sont données par le théologien allemand, puis américain Paul Tillich, c’est-à-dire par un penseur protestant majeur, qui a ancré sa réflexion théologique au cœur de la société dans laquelle il vivait, une société qu’il a fini par devoir fuir, lui qui est l’auteur, notamment de Christianisme et socialisme, puis des Écrits contre les nazis, et qui s’est exilé aux Etats-Unis pour échapper aux persécutions hitlériennes qui le visaient, en tant qu’enseignant qui s’était fermement opposé aux idées nazies et avait non moins fermement défendu ses étudiants juifs.

 

Quelqu’un qui n’est donc pas mal placé pour nous aider sur les chemins de la liberté. N’étant pas, je dois l’avouer, un grand lecteur de théologie, j’emprunte au texte d’un pasteur cévenol, Christophe Cousinié, publié en avril dernier dans Évangile et liberté.

 

Les pouvoirs qui lient et enferment un peuple, Paul Tillich les dénommait « les pouvoirs des origines ». Il en identifiait trois, le pouvoir du sol, celui du sang et celui du groupe social. C’est-à-dire l’ancrage dans un terroir, d’où on ne peut sortir sans être déraciné et affaibli (le sol), le courage héroïque, allié à la mélancolie d’un passé qui n’est plus et à l’exaltation des sacrifices qui pourraient le faire revivre (le sang), et la lignée qui hérite une règle ancestrale qui doit être transmise intacte (le groupe social).

 

Ne retrouve-t-on dans ces « pouvoirs des origines » un écho des paroles sévères qu’adresse Jésus à ceux qui manifestent le désir de le suivre, dans le passage de l’évangile selon Luc qui nous a été lu ?

 

Jésus, qui, lui-même, nous dit le texte, s’est fermement résolu à prendre la route de Jérusalem, en toute connaissance de cause de ce qui l’y attend, n’est pas accommodant avec ces potentiels disciples qu’il rencontre en chemin. Il semble même, à première lecture, qu’il les encourage à mal se conduire, à oublier ce qu’ils doivent à ceux qui les ont élevés, à ceux qui les ont entourés jusque-là. Enterrer son père, dire adieu aux siens qu’on décide de quitter, c’est pourtant le minimum que l’on puisse faire !

 

A la lumière de l’épitre aux Galates, et aussi des mots de Paul Tillich, cette apparente inhumanité de Jésus prend peut-être un autre sens. C’est comme s’il mettait le doigt sur le fait que ces légitimes attaches familiales, ce noble respect filial, ces hommages dus aux morts, pouvaient, eux aussi, devenir des prisons.

 

Comme s’il nous avertissait que, derrière ces respectables sentiments, peuvent se dissimuler le culte du passé, la nostalgie d’un confort tranquille, l’enfermement dans la tradition et dans le clan.

 

Jésus ne peut être plus clair. S’il nous appelle, c’est pour nous sortir de cet enfermement, de tous les enfermements, afin que nous puissions le suivre sans traîner un boulet avec nous. Le suivre pour, comme le dit Paul, nous mettre au service les uns des autres dans l’amour. Devenir, pour traduire littéralement le grec, les esclaves les uns des autres.

 

Se libérer pour se mettre au service ! Sans aucun doute, voilà un programme politique qui n’est pas facile à vendre, qui ne fait guère recette. C’est bien plutôt, ces dernières semaines nous l’ont montré, l’enfermement dans le passé, dans le terroir, dans la priorité donnée à l’intérêt personnel sur l’intérêt du plus grand nombre, au proche sur le lointain, ce sont ces multiples enfermements qui tiennent le haut du pavé.

 

Comprenons-nous bien. Il ne s’agit pas ici de dire pour qui devraient voter ceux qui se disent disciples du Christ. D’autres ont eu le courage, ont pris le risque, de le faire, au moment opportun, avec un meilleur sens de l’à-propos. En cette fin de juin, nous sommes d’accord, c’est trop tard, et si je m’y risquais, j’arriverais à contretemps.

 

Ce que nous pouvons faire, en revanche, nous qui tentons maladroitement de suivre Jésus sur les chemins qu’il nous a tracés, c’est tout simplement – ou aussi difficile que cela soit, chacun choisira ce qui le concerne -, prendre la parole, pour inviter autour de nous à la réflexion sur ce qu’est la liberté à laquelle nous sommes appelés, pour éveiller à la lucidité sur les obstacles qui se dressent pour lui barrer la route, pour dessiner et proposer des voies qui nous paraissent justes pour progresser ensemble.

 

Nous pouvons parler, et puis aussi, pour nous faire encore mieux comprendre, mettre en œuvre au quotidien le programme ainsi esquissé, en nous mettant au service les uns des autres.

 

En nous souvenant de cette phrase d’un autre grand théologien allemand, à qui la fuite n’a pas été possible et qui l’a payé de sa vie, Dietrich Bonhoeffer, qui fait écho à tout ce qui précède, non plus pour l’individu, non plus pour la communauté nationale, mais pour la communauté ecclésiale : « L’Église n’est réellement Église que lorsqu’elle existe pour ceux qui n’en font pas partie ».

 

Amen

 

 

 

 

 


Photo RP


Giorgione; garçon à la flèche (détail)

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