Écoutants, humains, debout et singuliers

Prédication du 7 octobre 2018 par Robert Philipoussi



EZECHIEL 2/1-10

1 Il me dit : Humain, tiens-toi sur tes jambes, et je te parlerai. 2Dès qu’il m’eut dit cela, un souffle entra en moi et me fit tenir sur mes jambes ; j’écoutai celui qui me parlait.

3 Il me dit : Humain, c’est moi qui t’envoie vers les Israélites, vers les nations rebelles, qui se sont rebellées contre moi ; eux et leurs pères se sont révoltés contre moi jusqu’à ce jour même ; 4les fils ont le visage obstiné, ils sont entêtés ; je t’envoie vers eux, et tu leur diras : Ainsi parle le Seigneur Dieu. 5Qu’ils écoutent ou qu’ils ne prennent pas garde – car c’est une maison rebelle – ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. 6Toi, humain, n’aie pas peur d’eux, n’aie pas peur de leurs discours, car tu as avec toi des ronces et des piquants, et tu vas t’asseoir sur des scorpions ; n’aie pas peur de leurs discours et ne sois pas terrifié par leurs visages – car c’est une maison rebelle. 7Tu leur diras mes paroles, qu’ils écoutent ou qu’ils ne prennent pas garde, car ce sont des rebelles. 8Toi, humain, écoute ce que je te dis : Ne sois pas rebelle comme cette maison rebelle ! Ouvre ta bouche et mange ce que je te donnerai !

9 Je regardai : une main était tendue vers moi, tenant un livre-rouleau. 10Il le déploya devant moi : il était écrit en dedans et en dehors. Il y était écrit : Lamentations, plaintes, gémissements.ehors. Et des lamentations, et des plaintes, et des malheurs y étaient écrits.

PRÉDICATION

Notre Église de Port Royal Quartier Latin s'interroge cette année sur ce que je pourrais appeler ses propriétés – comme on parlerait des propriétés spécifiques d'un aliment, ou d'un médicament – tente de comprendre ce qui lui est propre – ce qui la distinguerait des autres car – je le crois – chaque Église est une personne. Nous sommes dans ce moment où notre conseil presbytéral travaille sur ce sujet. Je vous le rappelle ou je vous l'apprends, même si ses deux parents Port Royal et Maison Fraternelle étaient à peu près centenaires quand ils ont fusionnés, le rejeton « Port Royal Quartier Latin » est encore assez jeune et c'est normal, arrivé à certain niveau de maturité, mais encore un peu dans les brumes de son enfance, qu''il s'interroge encore sur ce qu'il est, ce qu'il devrait devenir, quels sont ses risques, ses chances, se demande où il doit émonder, ce qu'il doit créer, soutenir, abandonner. Normal que l'on s'interroge  sur ce qu'on va faire quand on  sera grand, ce qu'on va aimer, aider, que l'on s'interroge sur les chemins qu'on va suivre ou rebrousser.

C'est pourquoi je pense que c'était le moment de convoquer un prophète, surtout juste pile dans ce moment de sa vie où le dit prophète est appelé par Dieu, pour que nous puissions sentir ce qu'il vit. Car si notre Église se sent appelée et si elle pense à son devenir, ce n'est pas mal qu'elle se fasse prophète sur elle même.  Et puis c'était un bon moment aussi parce que le Conseil Presbytéral ne doit pas rester seul dans sa réflexion.Je ne vais pas expliquerce texte dans le sens intellectuel , mais je vais tenter de le faire résonner dans quelques unes de ses fulgurances.

1 IL ME DIT : HUMAIN, TIENS-TOI SUR TES JAMBES, ET JE TE PARLERAI.

D'abord, écouter, avant de parler.

Une Église c'est une communion-ouverte-qui témoigne. Donc qui prêche. Moi je suis prédicateur d'accord, mais uniquement pour que vous deveniez, à votre manière et à votre tour des témoins de cette foi particulière qui vous anime. Je dis bien à votre manière, de la façon avec laquelle vous êtes façonnés – il ne s'agit pas de répéter un discours, il ne s'agit pas de propagande, il s'agit juste de ne pas enfermer trop longtemps votre espérance car sinon c'est bien connu, elle meurt.

Dans les formations de prédicateurs, on rappelle souvent l'idée que l'art de la prédication n'est pas d'abord celui de la Parole – celui bien maîtrisé pourrait susciter au mieux chez l'auditeur une réaction du type «  c 'était très bien » , mais d'abord l'art de l'Écoute. 
En ce sens, une Église qui sait qu'elle doit d'une manière ou d'une autre porter l'évangile sur les terrasses, comme dit la Bible, la première chose qu'elle fait, c'est se mettre en position d'écoute de la parole de Dieu.
Comme doit le faire tout prédicateur avant d'ouvrir la bouche, avant de se demander ce qu'il va dire.

Écoutons donc cette parole de Dieu adressée au prophète :

Toi Humain, ou Toi, fils d'ADAM dans le texte

Après cette parole, le premier sentiment pourrait être de la déception. Nous allions annoncer la bonne nouvelle, mais d'abord nous sommes des humains, issus d'autres humains. Nous ne sommes rien d'autre que des humains. Nous ne sommes donc rien de plus, rien de mieux que ceux à qui nous sommes supposés nous adresser. C'est pas mal de le rappeler. Souvent, très souvent, l'évangélisation n'est que l'expression d'un désir de puissance, parfois elle n'est juste qu'un délire collectif de surhumanité.

Nous ne sommes rien de mieux et rien de plus qu'humains. Notre seule injonction à transmettre serait « écoutez » , puisque nous, quand nous nous sommes mis à écouter, nous avons eu la vive sensation d'une grâce qui nous a surpris. Nous nous étions mis à écouter et nous avons été embrassés par la sensation de la grâce, après avoir écoute, nous avons eu la certitude nous aussi d'avoir été entendu par ce Dieu dont jusqu'ici nous trouvions au mieux que c'était un concept intéressant, au pire un jouet.

Ce pourquoi moi aussi je t'invite à écouter, non pas moi, dirait l'Église prophétique mais c'est aussi ce que moi je vous dis ce matin, mais celui qui est la Parole, pas un concept ou un jouet ou un ami imaginaire.

Mais évidemment, nous Église qui s'interroge sur ce qu'elle va faire quand elle sera grande, nous devrions être à l'écoute – c'est à dire déployer notre entendement au delà de nos ornières – à l'écoute de ceux à qui nous sommes supposés nous adresser. Et, au fait, peut être que que ce sera d'eux que viendra une parole qui nous évangélisera nous. Parce que oui, nous sommes des humains comme les autres.

Voilà donc un cadre pour l'évangélisation. Écouter. Ne pas oublier que nous ne sommes et que nous n'avons rien de plus que ceux à qui nous nous adressons. 
Une différence quand même. Vous l'avez entendue peut-être. Si nous sommes ces humains à qui Dieu s'adresse, nous sommes sur nos jambes – même handicapés, même trop vieux pour nous dresser, nous avons été mis debout. Par un souffle, dit notre récit. Et ça, debout, on ne l'est pas toujours, par paresse peut-être, mais surtout par soumission vague.

Je me souviens d'un temps où quand le directeur de l'école déboulait dans la classe, on était prié de se lever, dans un tintamarre de chaises effroyable d'ailleurs, avec une lenteur dosée de chenapans. Si je voyais bien que l'obligation de le faire était censée figurer une marque de soumission à l'importance présumée du personnage faisant irruption dans l'ennui morose d'un enfant scolarisé dans les années 60 en France, j'ai toujours vécu ce moment de relèvement comme une prophétie d'une échappée de ma servitude assise. Mon corps disait : on est debout, on peut partir. Mais non, la soumission réelle venait quand il nous priait de nous rassoir et là nous comprenions bien notre soumission et nous replongions dans l'ennui morose. 

D'ailleurs, la position du prédicateur du temps de Jésus était la position assise, et celle des auditeurs debout sur leurs jambes.

Nous sommes sortis du fleuve du baptême , après y avoir été plongés, nous avons été relevés et désormais nous sommes debout.

Écoutants, humains, debout.

Et voici la seconde phrase, comme scandée dans ce beau récit de la vocation d’Ézéchiel

5QU’ILS ÉCOUTENT OU QU’ILS NE PRENNENT PAS GARDE – CAR C’EST UNE MAISON REBELLE – ILS SAURONT QU’IL Y A UN PROPHÈTE AU MILIEU D’EUX.

L'important ne serait donc pas d'agréger autour de soi des gens conquis. Ce qui semble être le modèle à la fois doublement millénaire et malheureusement très contemporain, de l'évangélisation. Mais il s'agirait de maintenir une présence, une lieutenance de Dieu dans un monde qui pourrait l'oublier.

Écoutée - ou pas, une église intelligente et j'insiste sur ce mot, rarement employé pour qualifier une Église. Écoutée ou pas, une Église est prophétique quand elle maintient, dans un monde qui s'assimile lentement, s'assimile c'est à dire où de plus en plus TOUT est la même chose, quand cette Église maintient dans un monde la prophétie de l'Autre.

Il faut à tout prix maintenir la prophétie de l'Autre.

Écoutants, debout et prophétiques, dans ce lieu là, nous sommes plantés, juste pour dire qu'il y a autre chose. Être entendus , suivis ou pas, ce n'est pas que ce n'est pas important, c'est juste que ce n'est pas l'essentiel.

L'important est de maintenir cette borne d'altérité au cœur d'une ville, comme par exemple, Paris. Les gens ne viendront pas en masse, mais ils viennent et viendront parce qu'ils nous trouverons écoutants, humains, debout et aussi avec ce sens de l'au-delà de la vie présente qui provoque en nous humour et courage.

Petit Port Royal Quartier Latin, qui est né dans la douleur, qui a maintenant environ 12 ans mais en réalité un peu moins – il a a fallu le temps que tu te penses comme être singulier, tu t'aventures à être quelqu'un d'autre. Et si tu ne le fais pas, tant pis, tu seras assimilé comme les autres.

L' Église, y compris la nôtre, ce sera donc ces lieux et ces gens où les gens s'écoutent, sont debout sont humains, et avec une regard particulier, une forme particulière, un façonnement particulier. Le merveilleux de l'histoire c'est que nous avons la possibilité de nous façonner nous même, avec l'aide de Dieu.

Je prône personnellement une évangélisation qui ne casse la tête de personne. Juste, être écoutant, débout, humain et singulier et témoins d'un au-delà de l'ennui, de la violence, des lieux communs moroses.

Ézéchiel, pour l'anecdote mangera un premier rouleau, celui qui représente les désirs et les attentes des gens à qui il va être confrontés . Et puis il en mangera un second – bien sur c'est métaphorique, je ne vous invite pas à dévorer le papier des bibles qui sont déposées dans les travées – je ne garantis pas que cela soit du papier bio – il en mangera un second, donc, dont il fera son miel, le miel de la Parole de Dieu.

Frères et sœurs, ouvrons nos deux oreilles et nos multiples cerveaux pour écouter à la fois les attentes du monde où notre Église est plantée et aussi la Parole de Dieu, qui est douce comme du miel.

 

AMEN

 

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