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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

-LA PARABOLE DITE DU FILS PRODIGUE, prédication du 28 février 2016 !

Le texte de cette prédication ayant été lu autour de 5000 fois, c'est l'occasion de la sortir des profondeurs de ce site.
A l'occasion du baptême de Bérénice S., née en 2009.



Esaïe 55.10-11

 

10Comme la pluie et la neige descendent du ciel et n’y reviennent pas sans avoir abreuvé la terre,sans l’avoir fécondée et fait germer,sans avoir donné de la semence au semeur et du pain à celui qui a faim,11ainsi en est-il de ma parole qui sort de ma bouche :elle ne revient pas à moi sans effet,sans avoir fait ce que je désire,sans avoir réalisé ce pour quoi je l’ai envoyée.

 

Luc 15.11-32

 

11Il dit encore : Un homme avait deux fils. 12Le plus jeune dit à son père : « Père, donne-moi la part de fortune qui doit me revenir. » Le père partagea son bien entre eux. 13Peu de jours après, le plus jeune fils convertit en argent tout ce qu’il avait et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en vivant dans la débauche. 14Lorsqu’il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à manquer de tout. 15Il se mit au service d’un des citoyens de ce pays, qui l’envoya dans ses champs pour y faire paître les cochons. 16Il aurait bien désiré se rassasier des caroubes que mangeaient les cochons, mais personne ne lui en donnait. 17Rentré en lui-même, il se dit : « Combien d’employés, chez mon père, ont du pain de reste, alors que moi, ici, je meurs de faim ? 18Je vais partir, j’irai chez mon père et je lui dirai : “Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi ; 19je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ; traite-moi comme l’un de tes employés.” » 20Il partit pour rentrer chez son père.

 

Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému ; il courut se jeter à son cou et l’embrassa. 21Le fils lui dit : « Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. » 22Mais le père dit à ses esclaves : « Apportez vite la plus belle robe et mettez-la-lui ; mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds. 23Amenez le veau engraissé et abattez-le. Mangeons, faisons la fête, 24car mon fils que voici était mort, et il a repris vie ; il était perdu, et il a été retrouvé ! » Et ils commencèrent à faire la fête.

 

25Or le fils aîné était aux champs. Lorsqu’il revint et s’approcha de la maison, il entendit de la musique et des danses. 26Il appela un des serviteurs pour lui demander ce qui se passait. 27Ce dernier lui dit : « Ton frère est de retour, et parce qu’il lui a été rendu en bonne santé, ton père a abattu le veau engraissé. » 28Mais il se mit en colère ; il ne voulait pas entrer. Son père sortit le supplier. 29Alors il répondit à son père : « Il y a tant d’années que je travaille pour toi comme un esclave, jamais je n’ai désobéi à tes commandements, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour que je fasse la fête avec mes amis ! 30Mais quand ton fils que voici est arrivé, lui qui a dévoré ton bien avec des prostituées, pour lui tu as abattu le veau engraissé ! » 31Le père lui dit : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ; 32mais il fallait bien faire la fête et se réjouir, car ton frère que voici était mort, et il a repris vie ; il était perdu, et il a été retrouvé !

 

PREDICATION

 

Un homme avait deux fils.

 

Pourquoi pas deux filles ? Parce que l'histoire est ainsi. Parce que le contexte de l'époque et du lieu est patriarcal. N'empêche que, quand on se repasse l'histoire, ça manque terriblement de féminin. Pas de filles. Pas de sœurs. Pas de mère.

 

Je vais vous raconter une anecdote qui ne m'est jamais arrivée. Mais j'aurais aimé qu'elle survienne. Je vous raconte quand même. J'anime un groupe de catéchisme et ce jour là, le texte à étudier c'est ce récit La parabole dite du fils prodigue . Et je pose, à ces catéchumènes imaginaires, à un moment donné la question « de qui , dans cette histoire, vous sentez vous le plus proche ? »

 

C'est une façon pour moi de vous poser la question. Une question traditionnelle à poser quand on animer l'étude en groupe d'une parabole .Une parabole c'est une histoire spéciale, c'est en quelque sorte « un miroir intelligent », c'est-à-dire un miroir qui ne se contente pas de réfléchir – à votre place – comme pourrait par exemple le faire un texte qu'on considère comme un commandement – mais un miroir qui vous fait réfléchir.

 

Donc, oui, s'il vous plait, posez vous cette question, pendant que je raconte mon anecdote imaginaire.

 

De qui vous sentez vous le plus proche dans cette histoire, dis-je à ce groupe de jeune gens. Le fils, le père, le frère ainé, le serviteur ?

 

Et là, une des filles du groupe me répond. « je ne me sens proche de personne » « ah bon pourquoi ? » « pourquoi ? » « Parce que il n'y a que des personnages masculins dans ce récit. Donc je ne me sens proche de personne. La seule catégorie féminine, ce sont les prostituées. Donc je ne me sens proche de personne ». Radical, certes, mais bien vu.

 

Et vous ? Vous avez réfléchi ?

 

Maintenant, permettez moi de sortir de cette histoire imaginaire et vous dire un fait que j'ai pu établir à partir de mon expérience d'animateur de groupes très divers sur ce récit. Ce fait : le voici .

 

La plupart des gens s'identifient au fils ainé. Certes, une bonne proportion parmi eux, avant de consolider ce choix passent un bref instant par l'identification au fils le plus jeune, mais ils ne persistent pas.

 

Quand on va plus au fond, on s'aperçoit peut-être en effet que ce bref moment de correspondance avec ce fils le plus jeune n'est qu' une réminiscence d'un désir de jeunesse. Un cadeau que vous envoie le passé. Enveloppé dans du regret.

 

Mais comme a priori, ce fils là rentre dans le rang, et qu'a priori dans une première lecture il fait preuve d'une certaine inconséquence et d'un aveu de faiblesse, on préfère tout de même se voir dans la figure du fils aîné. Pourquoi ? Parce que celui-ci vit une forme d'injustice.

 

Et les gens aiment bien se reconnaître dans un personnage qui a son droit avec lui mais qui subit une injustice. On a tous une victime en nous.

 

Bon. Je n'ai jamais rencontré personne qui s'identifie au père. Personne. La plupart des gens, au travers de ce texte s'envisage comme progéniture. Etrange. On dirait que ces textes parlent d'abord au jeune qui vit au fond de notre cœur. Vous savez ce jeune là qui a tout décidé de votre vie alors que vous n'aviez que , quoi 15, 16 ans ? Celui dont vous êtes encore redevables aujourd'hui. Vous savez, vous avez le droit de vous en séparer. A moins que vous considériez qu'un adolescent doive encore vous dicter votre comportement.

 

Miroir intelligent, vous dis je. Et encore, pour l'instant nous ne sommes qu'à une lecture superficielle.

 

Mais continuons. Ou plutôt retrouvons la jeune fille imaginaire de mon anecdote imaginaire. « Il n'y a pas de féminin dans ce récit ». Et bien si, il y a un élément féminin et il est central. Mais, tu ne peux pas le savoir, jeune fille imaginaire car ce texte a été écrit il y a très longtemps et en grec, un grec qui prolongeait l'hébreu de la Bible que lisaient et entendaient les juifs de l'époque, même s'ils ne le parlaient pas vraiment. L’élément féminin dans ce récit c'est le père. Ou du moins, dans ce père là, il y a un élément féminin. Quand on lit qu'il fut ému quand il aperçut son fils de loin, l'expression grecque est qu'il fut saisi aux entrailles et ces entrailles là correspondent aussi à l’utérus et désignent un sentiment – comment dire – de miséricorde violente, d'une mère, envers sa progéniture. Jésus est souvent saisi de ce sentiment. Et dans la Bible hébraïque l'Eternel lui-même l'éprouve : Dans Jérémie.

 

« Ephraïm- nom qui désigne Israël - est-il donc pour moi un fils si cher, un enfant tellement préféré, pour qu’après chacune de mes menaces je doive toujours penser à lui, et que mes entrailles- mon utérus - s’émeuvent pour lui, que pour lui déborde ma tendresse? » (Jérémie 31,20).

 

Attention, je ne dis pas que cette tendresse là, violente et inconditionnelle – soit l'apanage du féminin – je dis que Luc, en écrivant cette parabole venue de Jésus inclut discrètement dans celle-ci un élément pour lui essentiellement féminin. Mais ce n'est pas très étonnant, Luc est l'évangile qui met en valeur les femmes et qui se joue des codes patriarcaux.

 

Donc nous en sommes là. Un père/mère. Deux frères. L'un s'en va et dilapide l'héritage qu'il a exigé. Et son retour permet au narrateur de mettre en lumière l'autre fils qui était resté dans l'ombre jusqu'à ce moment là de la narration.

 

Cette parabole, ce miroir qui fait réfléchir déjà nous aura fait voyager. Elle aura peut-être convoqué en nous celui ou celle qui aurait voulu partir, voulu s'échapper peut-être de son milieu et puis finalement qui ne l'a pas fait. Elle aura peut être convoqué pour quelques uns quelque chose qu'ils ne se pardonnent pas. Elle aura peut-être mis en lumière des problèmes de fratrie. Réveillé des bisbilles avec un frère ou une sœur plus jeune, « à qui on passait tout »...Elle aura peut être interrogé le jeune en nous, mais qui aurait été le plus jeune, qui n'aurait éventuellement jamais vu le problème, ce qui aura pu nous faire réfléchir sur les sources éventuelles de l'agressivité ressentie à notre égard de la part d'un éventuel . Bref, c'est une parabole, c'est à dire une bombe éclairante qui voyage dans notre intimité et qui éclaire, si tant est qu'on le veuille bien, des recoins souvent abandonnés depuis trop longtemps.

 

Après on se réveille un peu. On s'ébroue de ce voyage dans notre jeunesse -et on essaie d'interpréter. C'est donc l'histoire d'un père qui ne tient pas du tout rigueur à son fils qui non seulement a voulu le quitter, mais qui en plus a fait n'importe quoi, et au détriment de son autre fils.

 

Et là les commentateurs s’époumonent pour exalter cette vertu du père qu'ils assimilent immédiatement au pardon alors qu'il n'y pas de pardon dans ce texte, le fils le plus jeune, lisez bien, avait préparé sa petite phrase de repentance, mais lorsqu'il tente de la dire, le père lui coupe la parole. Ca parle d'amour inconditionnel. Parfois ça tente d'éduquer des parents. Parfois ça parle de Dieu qui a un très grand cœur. Et puis ça s'arrête là. Cette parabole a sans doute le record d'engendrement de commentaires disons, insatisfaisants. On écoute, et on se dit « oui et alors ».

 

Et alors ? Et alors déjà rappelons nous le voyage en nous-mêmes qu'elle aurait pu produire avant qu'un commentateur décide de tirer un trait définitif. Rappelons nous ce brusque éclairage sur notre situation éventuelle dans une fratrie, cette invitation improbable de comprendre que la fraternité peut se transformer comme l'a dit quelqu'un en frérocité...Rappelons cette invitation à considérer que nous sommes formés par des liens, et que peut-être ce qui est valorisé ici ce n'est pas le fils le plus jeune en tant que tel, mais son mouvement, de quête, d'envie, et puis sa conversion que la narration nous fait considérer comme un retour au point de départ mais qui ne l'est pas puisque de nouveaux liens se créent, que tout change, déjà on fait la fête, déjà on découvre qu'on est aimé inconditionnellement. Et celui ci en nous à qui nous n'avons jamais pardonné qu'il soit rentré dans le rang, ne serait-il pas temps ,ne serait ce pas le moment, de de lui ouvrir les bras ? Et de lui pardonner ? De nous pardonner ? D'être ce père accueillant pour nous-mêmes ?

 

Oui, grâce à ce mouvement, ce déplacement d'un des éléments de ce duo, les rapports institués ne sont plus identiques, et le frère aîné entend même cette phrase qu'on pourrait croire qu'il n'avait jamais entendue : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ». Enfin, tout le monde se parle.

 

On quitte donc l'histoire sous les bruits de la fête, oui, on s'en va, car nous n'étions pas invités, c'est une famille de l'antiquité. Nous n'étions que des observateurs. Ce n'était qu'un texte. Ce n'était pas notre fête.

 

Mais peut-être peut on se dire qu'on aimerait bien profiter de la fête, aussi. Parce que là où on en est, en fait, il n'y a rien à manger. Il semblerait que nous ayons tout dépensé . Tout ce qui nous avait mis à un moment en mouvement a été dilapidé. Peut être que nous pourrions rentrer dans cette maison qui peut être, c'est une parabole, rien n'est obligatoire ! Pourrait devenir notre maison...Notre nouvelle maison.

 

Et enfin...une fois qu'on a fait tout ces voyages, on peut se rendre compte de quelque chose d'étonnant. On pense au mouvement de Jésus, à son mouvement à lui, qui est sorti de la maison de son père en Galilée pour aller prêcher un peu partout, y compris dans des territoires païens où il y avait des cochons. Et qui avait dans son cœur, l'héritage sacré et qui avait bien l'intention de le distribuer, prodigalement à tout le monde, oui, Jésus, qu'on a maintes fois accusé de mener une mauvaise vie, car il n'était pas austère comme l'étaient les autres prophètes de son temps, celui dont on a dit qu'il était mort, et qu'il est revenu à la vie, celui dont on fête encore le retour lors de la fête la plus importante, Pâques.

 

On pense aussi au mouvement de Jésus, au mouvement des croyants au Christ, ces nuées de disciples venus de tous horizons, qui ont quitté de force le giron de la synagogue pour essaimer ailleurs, en prêchant un Dieu qui aime inconditionnellement, d'une violente miséricorde, ceux-là qui envisagent la réconciliation autour d'un banquet où l'ancien et le nouveau se reconstituent en une communion nouvelle, prophétique, visionnaire d'un règne éternel.

 

Alors Lucie- grande sœur - Alexia, François, Delphine et Emmanuel c'est tout cela et bien d'autre choses et à votre façon que vous pourriez raconter à Bérénice plus tard quand vous lui parlerez de son baptême. Le signe d'une mise en mouvement qui fera que rien ne pourra plus être comme avant. Le signe du Christ, qu'on croyait mort, mais qui a été retrouvé.

 

 

 

AMEN.


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