POST VERITE ET EVANGILE. Prédication 5 février 2017 1 Corinthiens 2, 1-5

Le prédicateur a déstabilisé son auditoire en mettant en comparaison le président des E.U et l'apôtre Paul. Cependant, l'on s'apercevra qu'il ne s'agissait que de mettre en valeur le témoignage de l'apôtre par rapport à la rhétorique du vide.



1 Corinthiens 2, 1-5

1 Pour moi, frères, lorsque je suis allé chez vous, ce n'est pas avec une supériorité de langage ou de sagesse que je suis allé vous annoncer le témoignage de Dieu. 2 Car je n'ai pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. 3 Moi-même j'étais auprès de vous dans un état de faiblesse, de crainte, et de grand tremblement; 4 et ma parole et ma prédication ne reposaient pas sur les discours persuasifs de la sagesse, mais sur une démonstration d'Esprit et de puissance, 5 afin que votre foi fût fondée, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.

ORGUE

Prédication. Robert Philipoussi

Aujourd'hui je vais mettre en comparaison DonaldTrump, le président des Etats Unis et l'apôtre Paul, celui qui écrit aux Eglises qu'il a fondées. Le nombre de caractères des lettres de Paul sont certes moins nombreux que celui des tweets de Mr Trump. Néanmoins, ils essaient tous les deux dire quelque chose, avec un objectif, celui de convaincre – en tous les cas pour Paul – tous les deux tous les deux, prétendent, ne pas utiliser les moyens habituels de la rhétorique, semblent vouloir se situer en dehors des concepts habituels de la philosophie, et tous les deux utilisent des justifications de leurs assertions qui, a priori, sont loin de la réalité coutumière. Alors, Donald Trump est il un lointain et dégénéré successeur de Paul  de Tarse? Donald et Paul, même punition ? Sans doute pas. Et cette prédication dira pourquoi il est tout de même plus intéressant de lire Paul, que Donald.

Comme vous en avez entendu parler, nous serions entres dans l'ère de la « post vérité ». Dans l'époque « alternative facts », c'est à dire des faits qui se situent en contradiction avec la simple constatation. Des soin disants « faits alternatifs » qui , assénés de façon autoritaire et péremptoire, en arriveraient à faire douter, ou même, à faire croire à l'existence d'un monde parallèle caché, où la vérité fleurit. Bien cachés, et bien différente de celle que les médias par essence tous malhonnêtes, nous cache.

C'est dans ce contexte, et dans le contexte de la « baisse généralisée » selon une enquête du quotient intellectuel mondial résistons ! que nous arrive cette adresse de Paul, à ses amis de l'Eglise de Corinthe. Dans ce passage là, précisément, Paul a besoin de se justifier de ce qu'il leur a déjà raconté quand il était avec eux . Et comment se justifie-t-il ? En usant , apparemment de la catégorie qu'il aurait été bien en peine d'appeler à l'époque « alternative fact ».

2 Car je n'ai pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié.

Et nous ce matin, il faudra se débrouiller avec ça, tenter de démonter ça : pour ne pas laisser l'évangile à ceux qui usent et abusent de ce qu'on appelle aussi l'argumentation d'autorité. En « mimant » le discours de Paul. Mais, à mon sens, en ne faisant que le mimer.

Alors que dit Paul ? Il dit: ma parole et ma prédication ne reposaient pas [quand j'étais avec vous ] sur les discours persuasifs de la sagesse, mais sur une démonstration d'Esprit et de puissance.

Traduit en français courant, cela pourrait vouloir dire : je n'ai pas à utiliser la rationalité commune pour vous convaincre, mais sur l'évidence . Point final. « Period » comme dit le phénoménal porte parole du président des Etats Unis, pour convaincre que le nombre de présents à l'investiture du président n'a jamais été aussi élévé.

C'est un peu comme si je vous disais, là maintenant, vous pouvez me croire, car en ce moment, l'Esprit de Dieu parle à travers moi. C'est vrai car c'est Dieu qui me l'a dit. Hier par exemple. Il m'a parlé. Point Final. Mes sources ne sont pas les vôtres. « alternative fact » !

Vous riez ? Vous savez que j'ai déjà entendu ce type de phrase dans une prédication ? Et parfois d'une façon aussi peu subtile que celle que vous venez d'entendre. Et la manie assertorique de Trump est directement issue de la même manie qui contamine bon nombre de prédications évangéliques.

Alors, est ce que Paul, a donné naissance à Donald Trump ? Surement pas, et on va voir pourquoi. Mais pour ça, il va falloir réfléchir un peu. Faire un peu de lexique grec. On y est obligé. On va parler du Logos, du Kérygme, de la déesse Peito, de la Sophia, et d'apodictique. Ce qui fait beaucoup pour un dimanche matin, mais n'ayez crainte.

Oui, scannons cette phrase, en grec, ce qui va nous permettre de mieux comprendre ce que Paul, - qui je le rappelle est quelqu'un de très cultivé, et à même de polémiquer aussi bien avec les cultures grecque et juive, est en train de faire. Pour convaincre.

Et c'est beaucoup plus subtil que Donald Trump (mais hélas peut être moins efficace, en tous les cas à court terme, car enfin, mon Dieu, qui se souviendra encore de Donald Trump dans 2000 ans ? Alors que nous lisons encore Paul...).

Et nous sommes aujourd'hui peut être un milliard de personnes à le faire...

Scannons. Paul d'emblée, pour désigner sa propre parole, emploie le mot logos. Il aurait pu employer un mot plus commun, qui se dit « rhema » en grec : ce dont on parle, mais il emploie Logos, ce qui signifie à la fois, discours, mais aussi logique, raisonnement, et renvoie bien sûr dans les esprits fraichement convertis à Jésus et de culture grecque au Logos universel, et évidemment au Logos de Dieu que le christianisme a dérobé à la philosophie.

Mon logos. Donc, déjà, ce n'est pas n'importe quoi. Ca veut dire que le logos avec lequel je parle est déjà une parole qui me dépasse. Et ensuite Paul parle de sa prédication. Plus littéralement, de sa proclamation. En grec « Kerygma » , qui vient d'un mot qui désigne un « héraut » , « A-U-T » : Un héraut est un officier d’armes chargé de faire des déclarations importantes ou de porter des messages de grande valeur.

Voilà déjà ce que Paul fait. Après leur avoir dit, à ses amis Corinthiens, «  qu'il était auprès d'eux dans un état de faiblesse, de crainte, et de grand tremblement » , il parle de son Logos universel, et de sa proclamation d'une vérité essentielle. Et ça, les oreilles grecques, elles entendent le frottement du thème chéri de Paul «  c'est de la faiblesse qui vient la force... » . Certes Donald Trump prétend aussi parler au nom de la raison universelle et prétend être le « héraut » qui proclame des vérités universelles, mais, évoquera t il jamais sa faiblesse, son manque, sa tristesse, ses tremblements... Non, mais Paul oui, qui n'a que faire de se bâtir une légende virile et d'acier.

Son Logos, et son Kérygme, à Paul, ne repose pas , dit il sur les discours persuasifs de la sagesse. Ici, le grec éduqué mais aussi populaire se rappelle une déesse nommée persuasion en français, Pitho, en grec : une franche séductrice, l'ouvrière de la persuasion, comme l'appelle Platon. La mère de la rhétorique, et peut être la couveuse des assemblées démocratiques où l'on prenait des décisions après un débat. Après avoir annexé le Logos et le Kérygme, après avoir convié ses interlocuteurs à croire qu'il n'avait rien à voir avec les pouvoirs de la déesse de la persuasion et de la rhétorique, Paul se démarque aussi de la Sophia, la sagesse, à savoir, l'idéal de la vie humaine pour les philosophes. Que Paul connait, évidemment, et il sait aussi que ses interlocuteurs les connaissent.

En une phrase, Paul se fraye un chemin vers ses interlocuteurs , et pour cela il dégage à peu près tout ce qui ferait obstacle. Il est faible, tremblant, minable, il n'a pas les atours de la déesse Pitho, qui a un vêtement en forme de langue humaine...il n va pas employer les arguments de la philosophie car en l'occurence, ce n'est même pas la peine. Il affirme que quand il était avec eux il leur parlait sur une démonstration d'Esprit et de puissance

Et en disant cela, il envoie encore une allusion à la rhétorique traditionnelle  : le mot grec traduit en français par démonstration a donné en français le mot apodictique. Est apodictique, du grec αποδεικτικος (qui démontre, qui prouve), ce qui présente un caractère d'universalité et de nécessité absolue. Une proposition apodictique est nécessairement vraie, où que l'on soit.

Alors, là on pourrait se dire, que Paul, bien que plus subtil et bien qu'il se présente d'emblée comme un faible, est tout de même est l'équivalent de Donald Trump. Il affirme dire une vérité vraie sans contestation possible.

Mais on va voir que Trump, dans son discours, n'est qu'un mime sans référence. Contrairement à Paul.

Quelle est elle cette vérité, sur laquelle Paul se fonde ? Est elle de rendre l'Eglise « Great Again » ou autre faribole dont on a de la peine, au sens littéral, de s'apercevoir qu'elle attire encore des gens fascinés ? Non. Cette vérité on la trouve dans son affirmation première, verset 2 : 2 Car je n'ai pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié.

Son Logos, son Kérygme, ne va pas pouvoir se compromettre avec la persuasion, la rhétorique, le débat, ni même la sagesse et la philosophie et ne pourra pas non plus se compromettre avec la « grandeur » .

Ce qui est apodictique, démonstratif ici, c'est ce Christ crucifié, duquel ne sort plus aucune parole. Christ crucifié : démonstration publique, universelle, et muette, de l'affaiblissement radical de Dieu pour le salut au monde. Démonstration entourée d'un silence et d'une solitude radicales, qui ne permettent plus, même au plus fin des rhéteurs, d'en placer une.

Pour Paul, voilà ce « fait ». Ce fait « alternatif » . Il n'était pas logique que Dieu s'abaisse sur une croix romaine et meure. C'est un bouleversement sans nom et cela ne correspond réellement à aucune catégorie ni des philosophes ni des religieux. C'est inouï. Et c'est pour Paul, un acte étonnamment puissant de Dieu, une puissance paradoxale, destinée à faire taire d'abord, et à convertir ensuite par le bouleversement de l'entendement. .

Voilà mon Logos, voilà de quoi je suis le « héraut » : Christ crucifié, Dieu au plus profond de l'humain. Je ne vais pas vous persuader, simplement je le dis, ce Dieu là n'est pas dans le même registre que celui des discours. Il est au cœur de ma propre faiblesse, de mes propres craintes, dit Paul, dans mon tremblement. Paul leur dit : je suis quelqu'un de bouleversé par ce que j'ai cru.

Vous voyez, Paul, qui déjà est beaucoup plus cultivé que Donald Trump, et s'adresse probablement à des gens qui l'étaient aussi, ce n'est pas qu'il méprise le discours, la sagesse, la logique. Loin de là, il montre même qu'il en connait les finesses. Il dit simplement que là, que ce dont on parle, n'a rien à voir. Il s'agit, là de la jonction de Dieu et du monde, et c'est ce Christ crucifié.

Ce n'est pas juste un alternative fact, c'est l'événement qui a retourné ma conscience, et qui me conduit devant vous, Corinthiens que j'aime, à le proclamer.

A vous d'y être sensible, ou non. Moi seul, je ne pourrai jamais vous en persuader.


 

AMEN


 

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