PREDICATION DU 9 OCTOBRE 2016. De la religion à la foi. Luc 17 : 11-19



LECTURES DU JOUR
2 Rois 5 : 14-17
Il descendit alors et se plongea sept fois dans le Jourdain, selon la parole de l'homme de Dieu; et sa chair redevint comme la chair d'un jeune enfant, et il fut pur.
Naaman retourna vers l'homme de Dieu, avec toute sa suite. Lorsqu'il fut arrivé, il se présenta devant lui, et dit: Voici, je reconnais qu'il n'y a point de Dieu sur toute la terre, si ce n'est en Israël. Et maintenant, accepte, je te prie, un présent de la part de ton serviteur.
Élisée répondit: L'Éternel, dont je suis le serviteur, est vivant! je n'accepterai pas. Naaman le pressa d'accepter, mais il refusa.
Alors Naaman dit: Puisque tu refuses, permets que l'on donne de la terre à ton serviteur, une charge de deux mulets; car ton serviteur ne veut plus offrir à d'autres dieux ni holocauste ni sacrifice, il n'en offrira qu'à l'Éternel.

Luc 17 : 11-19
Jésus, se rendant à Jérusalem, passait entre la Samarie et la Galilée.
Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Se tenant à distance, ils élevèrent la voix, et dirent:
Jésus, maître, aie pitié de nous!
Dès qu'il les eut vus, il leur dit: Allez vous montrer aux sacrificateurs. Et, pendant qu'ils y allaient, il arriva qu'ils furent guéris.
L'un deux, se voyant guéri, revint sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix.
Il tomba sur sa face aux pieds de Jésus, et lui rendit grâces. C'était un Samaritain.
Jésus, prenant la parole, dit: Les dix n'ont-ils pas été guéris? Et les neuf autres, où sont-ils?
Ne s'est-il trouvé que cet étranger pour revenir et donner gloire à Dieu?
Puis il lui dit: Lève-toi, va; ta foi t'a sauvé.

 PRÉDICATION
Ce récit de Luc n'a t -il pas un problème avec la religion ? Jésus renvoie les lépreux vers les prêtres mais, c'est sur le trajet qu' ils sont guéris ! Ensuite, c'est un Samaritain - c'est à dire un symbole de l' hérésie, qui revient chanter les louanges de Dieu ! Et à la fin, celui qui est guéri se prosterne devant Jésus mais Jésus lui dit : lève toi et va, va t'en !
Il semblerait que les prêtres, la bonne identité et la bonne façon d'adorer, et la prosternation ne soient pas vraiment du goût de Jésus !
Du coup, c'est peut-être le genre de récit qu'on peut garder en tête quand des moqueries et des critiques pleuvent sur la religion, des couvertures de Charlie jusqu'au propos de certains philosophes médiatiques, des critiques parfois outrancières, souvent pertinentes. Peut être qu'en fait nous ne sommes pas la cible.
Parce que nous pensons appartenir à une religion, nous prenons cette critique pour nous, ça nous fait de la peine.
C'est alors qu'il nous faut nous souvenir de ce texte de Luc : l'histoire des 10 lépreux .
Nous , c'est qui ? Et bien c'est nous qui tentons de mettre nos pieds dans les traces de ce Jésus de Nazareth. Mais c'est nous, protestants, ou sympathisants. C'est à dire des gens issus d'une longue lignée de gens qui réinterprétent des textes bibliques . Des textes qui vont dans un même sens : la sortie de la religion. Je ne dis pas " de la foi en Dieu", je dis " de la religion".
La première partie de cette prédication va aller à fond dans cette hypothèse de la sortie de la religion. La seconde va critiquer cette affirmation en nous rappelant une évidence : nous, ne sommes nous pas des pratiquants d'une religion ? .
Et la troisième va, je l'espère nous rappeler la joie du salut par la foi.
 
Le protestantisme, c'est quoi ? C'est d'abord la protestation de Luther, qui a balayé- presque contre son gré - les fondements de l'institution qui le gouvernait lui et le monde connu. Plus de prêtres, plus de hiérarchie, plus de lieu sacré, suppression de cinq sacrements sur sept, plus d'autorité qui dit ce qu'il faut croire. Et cela n'a pas arrêté. C'est dans le protestantisme qu'est née la critique biblique. Cette critique biblique a fait peur a beaucoup de gens. Quoi ! On est en train de saper les fondements de notre foi! 
Mais ce n'est pas vrai, ça fait deux siècles que la science critique s'est emparée de la Bible. Et elle est toujours là. Et nous aussi. Cette science biblique a montré, entre autres, que les textes fondateurs étaient des récits qui eux aussi étaient critiques. Des récits qui racontent la sortie de la religion : dans la genèse, les divinités stellaires deviennent des "luminaires". Dans beaucoup d'histoires bibliques, les idoles sont vilipendées. Dans la Bible, on y savoure l'impatience prophétique face à la corruption des élites religieuses.
Le nom du Dieu d'Israël lui-même tout à coup n'est plus prononçable par les gens - l'invoquer cesse dès lors d'être une manière de se l'approprier. Le Dieu clanique, le  Dieu volcanique, vient  s'affranchir des limites et devient Dieu de la multitude. Il se met à dépasser ses prêtres qui tentent à tous prix de le remettre dans sa cassette, mais non, c'est trop tard. Cela va devenir difficile de faire croire au peuple que la lampe qu'ils tentent de vendre contient encore son Génie !
Nous voyons dans notre Bible des tours de Babel s'écrouler. Des Temples, balayés. Des rois destitués. Des prêtres, des sacrifices abandonnés .
Et Jésus vient . On aura toujours tort de le confondre, celui-ci, avec la figure de la soumission ou de l'homme tragique.
C'était un impatient.
Jésus de Nazareth descend de Galilée vers Jérusalem. Mais il n'y va pas pour faire un pélérinage. Il y vient pour en finir avec la religion instituée, qu'il juge cruelle pour son prochain. C'est lui qui dire : le  shabbat est fait pour l'homme, et non l'homme pour le shabbat.
Qu'on le veuille, ou qu'on ne le veuille pas, on aura beau l'encadrer de toutes les manières possibles, on aura beau transformer ses discours en morale, la trajectoire de cet homme reconnu par ses adeptes, comme le Messie, comme le fils de Dieu, est dans la ligne de ce mouvement inexorable de sortie de la religion exprimée dans toute l'Ecriture - avec certes de nombreuses nuances, mais cette ligne-là est incontestable. Il faut vraiment ne pas vouloir lire ce qui est écrit pour ne pas au moins se poser la question.
Et aujourd'hui, donc, comme récit du jour, nous avons l'exemple type, l'illustration parfaite de ce mouvement, de cette ligne profondément biblique.
Que se passe t il dans ce texte ? Jésus est à l'étranger. Entre la Samarie et la Galilée. 10 lépreux viennent vers lui et se tiennent à distance.
D'abord pourquoi 10 ? Parce dans l'imaginaire biblique, le nombre 10 semble être le signe de la totalité. 10 Paroles créatrices dans Génèse 1; 10 paroles ou 10 commandements créateurs du vivre ensemble pour le peuple,nous avons les 10 plaies d'Egypte, les 10 vierges dans Matthieu, et les 10 serviteurs dans Luc 19.
Ici, c'est une totalité qui vient vers lui. Une totalité de quoi ? Rien ne le dit, mais ces 10 personnes affectées d'une maladie de peau et donc exclues par tout le monde, des impurs, peuvent représenter tout simplement l'humanité, l'humanité souffrante, demanderesse, seule.
"ils élevèrent la voix, et dirent: Jésus, maître, aie pitié de nous!"
Cette humanité parle d'une seule voix, ce qui relève bien cette totalité
Pourquoi à distance ? Parce que spontanément, cette humanité a un réflexe religieux, elle se tient à distance parce que la religion lui a dit qu'elle était impure. Mais Jésus parle aux impurs alors que la religion l'interdit.
Mais ne les guérit pas. Ils les renvoie aux prêtres dont c'était le métier d'encaisser des offrandes pour la guérison. Et allant vers les prêtres, il sont guéris. Sous entendu, ils n'ont pas eu besoin de Jésus, ni des prêtres.
9/10 eme d'entre eux, s'évaporent, sortent . Un seul, une nouvelle totalité encore plus condensée, fait demi tour , ou, en langage évangélique, se convertit.  Il ne se tient plus à distance. Il se jette aux pieds de Jésus, qui lui dira à la fin, lève toi et va.
Sous entendu, tu n'as rien à faire à mes pieds. Re sous-entendu plus personnel : j'aime bien avoir les pieds libres.
Où sont les 9 autres ? Ils sont sortis de la religion.
Et lui ? le 10 eme ? Lui, cet étranger, donc pas vraiment susceptible d'adorer correctement, lui qui chante les louanges de Dieu, lui, Jésus lui dit :
lève toi, - ressuscite - va - poursuis ton chemin d'humain libéré, ta foi ta sauvé.
Va t'en et ne reste pas dans mes pieds. Sors, toi aussi !
Ni les prêtres, ni moi-même ne t'ont sauvés. Ta foi, ta confiance, t'a sauvé.
Venons en maintenant à la seconde partie de cette prédication. Celle qui va mettre en question la première. On pourrait lire cette aventure, certes, comme une critique de la religion instituée, mais peut être aussi une critique intéressée. Dans le sens où on critiquerait une religion au profit d'une autre religion. En effet, c'est un souci permanent chez les religions, il y a toujours une religion qui arrive pour dire que la précédente est corrompue et qu'elle, plus pure, est la vraie. Et en effet, dans la Bible hébraïque, la protestation pour le Seigneur a certes fournit des récits qui racontent comment des idolatres corrompus ont été balayés, mais cette protestation a aussi créé une religion nouvelle, monothéiste. Mais il se trouve que celle-ci n'a pas tenu institutionnellement . Ses temples, ses rois, son clergé, ont été balayés, seuls son peuple, ses lieux de prières en forme de maison sont restés, mais surtout ses textes ont été transmis à l'interprétation des générations futures, jusqu'à nous aujourd'hui.
Cette figure de l'exil, ou cette figure continuée de l'exode est devenue la norme. Mais une norme sans prêtres, sans Temple, sans possibilité de sacrifices, juste des maisons pour se réunir, et des textes à interpréter.
On pourrait aussi critiquer la première problématique en disant que le christianisme est une religion. Et de fait elle est la plus populaire du monde. Et comme nous sommes chrétiens, - nous l'avons appris, nous avons été catéchisés pour l'entendre , les sociologues nous l'affirment, il est difficile donc, sans hypocrisie, de critiquer la religion quand soi même, on est enfoncés dans une religion dont le Christ est le nom. La religion chrétienne, la religion du Christ.
Très bien. Sauf que.
D'une part, en revenant à ce texte, on s'aperçoit très bien que Jésus ne guérit pas, ne veut pas de cet adepte, et ici comme dans d'autres textes, il ne veut pas être un emblème . Et d'autre part, encore une fois, nous sommes protestants. Le protestantisme est un mouvement multiforme, et multi confessionnel qui n'a aucun point commun entre ses différentes tendances, sauf un : celui ne pas avoir de clergé, de ne pas avoir d'institution centrale, de ne pas avoir de magistère théologique, c'est à dire d'instance qui en trace les limites. S'il se réfère au Christ, il le fait dans une telle variabilité que franchement, si je peux me permettre, Jésus lui même pourrait rire de tous ces cadres dans lequel on l'a enfermé. Le protestantisme est par essence, un mouvement existant hors des Temples au sens classique (avec ses tabernacles, ses prêtres, ses sacrifices et sa hierarchie) et de fait, toutes les institutions qu'il crée sont relatives et précaires, dès qu'elles prétendent dépasser le coeur, c'est à dire l'Eglise locale. Mais mine de rien, cette insuffisance institutionnelle permet à la majorité des protestants dans le monde de se reconnaitre. Alors que souvent, leur façons de croire sont diamétralement opposées.
Ce que met le protestant au centre, c'est la foi, autre nom de la confiance, et il s'agit de la foi personnelle. Cette personnalisation de la foi est illustrée dans notre texte dans le passage de 10 lépreux à 1, sauvé.
Cette foi reconnait son origine en ce Dieu impossible à enfermer, ni dans une confession, ni dans un tabernacle, ni dans une édifice, ni dans un prêtre, ni dans des aliments consacrés. Cette foi reconnait son origine et découvre que c'est la même origine pour tous ceux et celles qui gardent dans leur coeur ne serait ce qu'un embryon de confiance vitale, qu'ils reconnaissent Dieu, ou non.
Et c'est cette foi qui entraine le salut. Ce ne sont ni les prêtres, ni les sacrifices, ni même Jésus qui entraine le salut, c'est cette foi, et en particulier cette foi qui reconnait en Jésus celui qui l'a le mieux proclamé, qui l'a desenchevetrée des filets dans laquelle elle s'abimait.
L'Eglise locale est cette chambre d'écho de cette confiance, et cet écho en grec s'appelle littéralement "la catéchèse".
C'est pourquoi on a besoin d'ouvriers pour que cette Eglise annonce, accueille, aide, vive, et surtout comme ce dixième ex-lépreux loue, remercie, chante. Même si chacun est un étranger pour l'autre, ce n'est pas grave, cela n'a aucune importance, cette foi exprimée par la louange symphonique est un écho de ce Dieu qui est bien plus intéressant, plus subtil, plus symphonique, que nos pauvres institutions qui s'époumonent à inventer des concepts unicellulaires, ou binaires et des formules qui ne durent pas alors que ce qui tient, c'est cette éternité que nous vivons dans la communion, chers amis, dans ce partage fraternel du pain et du vin, comme celui que nous allons accomplir.
Certes, un sociologue, ou même un théologien pourra dire que c'est un rite religieux, et dans certaines composantes du christianisme institué, que c'est même un rite exclusif, réservé à certains.
Ne résistons pas au sociologue, il a raison de son point de vue. Rappelons nous plutôt les premiers croyants au Christ. Ils n'allaient plus au Temple de Jérusalem car celui avait été détruit et ses prêtres mis en chômage technique. Ils ne pouvaient même plus aller à la synagogue entendre la loi et les prophètes car ils en avaient été exclus. Mais leur repas fraternel- périphérique, du coup,-préparé en souvenir de celui dont les paroles leur avait donné confiance, était fait d'une autre matière que la matière religieuse . La confiance. La foi. Tout le monde était invité. A égalité. La confiance, la foi, les avaient tous sauvés.
Bénis soit ces temps appelés parfois primitifs, où notre foi n'était pas encore abimée par l'institution. Bénis soient les institutions qui savent reconnaitre qu'elles ne sont pas l'alpha ni l'omega, mais qu'elles sont des êtres fragiles absolument pas dispensés de revenir aux sources et de faire demi tour. Bénies soient nos églises locales quand elles savent faire écho et s'affranchir de leur timidité et quand elle suscitent des ouvriers symphoniques pour que cette matière première de la vie, la confiance, la foi ne se perde pas.
Lève toi, va-t-en, ta foi t'a sauvé. 


amen

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