Prédication du 13 juin 2021, par Claire Gruson

« Il ne leur parlait pas sans parabole... »



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Gao Jianfu Fleurs, Melon, Poissons et Insectes

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Prédication

Il ne leur parlait pas sans parabole 13 juin 21.mp3  (37.67 Mo)

 

Marc 4, 26-34 « Il ne leur parlait pas sans parabole... »

 

 

Le texte de ce matin évoque un thème bien connu en littérature, en peinture et dans la Bible, celui du Semeur. Songeons à cette source d'inspiration pour les peintres (JF Millet, Van Gogh, Gauguin, Seurat...) ou pour les poètes (par exemple pour V. Hugo). Au début de ce chapitre 4 , Marc vient de relater une première parabole du semeur, suivie même d'une explication terme à terme de tous les éléments qui ont composé ce récit. Cette explication est donnée par Jésus à ses disciples pour répondre à leurs interrogations sur le sens des paraboles. Et voici que de nouveaux versets (ceux de notre lecture du jour) nous reparlent dans le même chapitre de ce même thème et que dans le même segment d'évangile (péricope?) apparaît ce qu'on pourrait appeler une nouvelle variation : l'histoire du petit grain de moutarde qui devient un grand arbre. Beaucoup d'insistance donc, sur ce petit élément, la semence, la graine, alors qu'on pourrait croire que son symbolisme est relativement simple et accessible à nos intelligences. Beaucoup d'insistance et aussi l'occasion de poser à plusieurs reprises la question de la compréhension de ces paraboles. Les disciples interrogent Jésus, celui-ci explique, tout en signifiant que ces récits ne sont pas compris. Tout se passe comme si Marc incitait le lecteur à ne pas se laisser prendre à l'apparente simplicité de l'histoire racontée, et à ne pas espérer pour autant appréhender le fin mot de l'histoire.

 

Portons donc d'abord attention au récit des versets 26 à 32, avec la manière spécifique qu'a Marc de raconter :

son attention aux détails concrets (l'évolution de la semence : herbe, puis épi, puis blé bien formé dans l'épi ; la progression de la graine de moutarde jusqu'à sa transformation en arbre si grand qu'il peut abriter des oiseaux dans son ombre).

Son peu de goût par ailleurs pour le développement d'idées. Les paroles de Jésus s'enchaînent dans dans ce chapitre 4 rythmé par des formules répétitives d'énonciation : il les enseignait...il dit...il dit encore. Souvent les paroles sont rapportées explicitement et directement. Mais parfois on ignore le contenu précis de ses paroles : Marc les laisse dans l'ombre. Ainsi au verset 34 « il expliquait tout à ses disciples ». Qu'est-ce que ce « tout » ? Un infini qui dépasse les capacités d'appréhension et de restitution du narrateur ? L'événement que rapporte l'évangéliste, c'est seulement le fait de l'explication donnée exclusivement aux disciples , « en privé » ; ce n'est pas le contenu de l'explication, soustrait aux grandes foules qui suivent Jésus et qu'il finit par renvoyer. Etre disciple, cela veut-il dire être initié ? Qu'en est-il pour ceux qui ne le sont pas ? « C'est par beaucoup de paraboles de ce genre qu'il leur annonçait la parole, selon qu'ils étaient capables de l'entendre. » « dans la mesure où ils étaient capables de l'entendre » (Bible de Jérusalem (V. 33)

 

Ce commentaire de Marc nous renvoie à nous – mêmes : Sommes-nous « capables » d'entendre cette parole (v. 33) annoncée par les paraboles ? Essayons de la « comprendre ».

Dans un premier temps, je suis tentée de paraphraser le texte, en observant simplement que le processus de la croissance est détaillé, étape par étape, en quelques mots, comme en accéléré, avec son aboutissement merveilleux : « la moisson est là » et même déjà la faucille. L'activité du semeur se réduit à son geste initial (« auguste »!) Il a seulement jeté la semence en terre. Ensuite on le voit dormant, veillant mais pas vraiment agissant. Maintenant, c'est la terre qui travaille. Les puissances actives, ce sont les éléments de la nature. Dans le silence, le grain se transforme. On a en tête la parabole précédente du chapitre 4 ; elle nous a dit que semer signifie ensuite attendre et que le grain a beaucoup d'obstacles à franchir avant que ne paraisse l'épi. Un processus complexe, étonnant comme est étonnante la métamorphose prodigieuse du petit grain de moutarde en arbre. Les grands espaces agricoles de la Beauce d'aujourd'hui ne nous permettent guère de rêver à cette métamorphose et au temps qui est à l'oeuvre dans ce processus. Ici j'ai envie d'évoquer Jean-Jacques Rousseau rêvant à toutes les étapes complexes qu'il a fallu franchir à l'époque néolithique pour inventer l'agriculture : connaissance de l'usage du blé, usage d'instruments appropriés, prévoyance pour les besoins à venir ; « pour se livrer à cette occupation et ensemencer les terres, il faut se résoudre, écrit-il, à perdre d'abord quelque chose pour gagner beaucoup dans la suite ; précaution fort éloignée du tour d'esprit de l'homme sauvage qui a bien de la peine à songer le matin à ses besoins du soir. » La rêverie sur la graine semée nous fait percevoir le temps long de l'histoire humaine.

 

Venons en maintenant au semeur de la parabole. Le pasteur Louis Simon a réuni une série de prédications dans un petit livre précieux dont le titre est Mon Jésus. Il intitule sa méditation sur l'une des paraboles du semeur : « Semeur, rien que semeur ». C'est qu'en effet, ce semeur n'est pas un moissonneur.  : rien qu'un semeur alors que nous rêvions d'un Jésus de la fin, « qui viendrait conclure et couronner une histoire », « qui nous ouvrirait ses greniers ». Ici c'est un Jésus sans récolte « et mourant trop tôt pour se réjouir des épis » ; il commence une ère nouvelle ; cet ouvrier de fin d'hiver entre dans une attente : « Cette attente, c'est aussi cela, le semeur ».

 

Il sème la parole :

Au verset 14, Jésus, parlant du semeur, dit « Il sème la parole ». La parole comme semence  : en quoi cette analogie nous éclaire-t-elle sur le sens de ce mot « parole » familier du lecteur d'évangile ? Ce qui nous est proposé ici pour comprendre ce mot c'est une image ; ce n'est pas un concept, une idée à contempler, l'expression d'une vérité éternelle, le logos grec. La parole – semence, c'est quelque chose de très concret. La Parole ne renvoie pas à une réalité dont elle serait l'expression : elle est la réalité elle-même. Comme la graine devenant épi, la parole est un événement temporel. Non une vérité éternelle. L'Ecriture témoigne d'une histoire et non seulement de mots . Elle n'expose pas des préceptes philosophiques ou moraux. Elle ne nous engage pas dans des principes généraux résumables dans quelques croyances consolatrices : une Providence veille sur nous, un ordre moral gouverne l'univers, la mort nous introduit à une nouvelle existence. Elle entre dans l'histoire chargée de puissance explosive. Sa force créatrice fait irruption dans le monde.

 

Résumons : le semeur n'est pas un moissonneur. La semence est une parole créatrice.

Arrêtons-nous maintenant à ces deux phrases qui introduisent les paraboles : « Il en est du Royaume de Dieu comme d'un homme qui jette de la semence en terre. » et cette question en forme de devinette : « A quoi comparerons-nous le Royaume de Dieu ? Il est semblable à un grain de moutarde... ».

Le Royaume de Dieu comparable à un grain minuscule ? Ne sommes nous pas dérangés par cette étrange disproportion ? Le Royaume n'est-il qu'un grain ? N'est-il pas plutôt dans notre imaginaire le temps de la récolte, le temps des moissons, de l'accomplissement, de la gloire en somme ? En lieu et place de ces représentations prestigieuses, nous n'avons rien qu'un semeur, qu'un grain : une promesse bien mince et beaucoup d'incertitude. C'est l'infini contenu dans le tout petit sur lequel pèsent des menaces multiples.

Difficile de comprendre cette image du Royaume, de la faire nôtre. Et d'ailleurs ce « Royaume » est-il à imaginer dans le futur ? Est-il la promesse de la fin des temps ? Ou est-il à comprendre pour maintenant ? Comme une sorte de programme politique ? Avons-nous un rôle à jouer dans son avènement « sur la terre comme au ciel » ?

 

Dès lors, face à ces questions, le thème central de ces paraboles n'est-il pas celui de la capacité de compréhension des hommes ? Peut-être les hommes ont-ils cru comprendre lorsqu'ils ont édifié la tour de Babel ou lorsqu'en décidant d'adorer le veau d'or, ils ont choisi de s'enfermer dans un ordre moral figé.

Je pense ici à ce texte étonnant que Dietrich Bonhoeffer a écrit dans sa prison de Tegel à Berlin en 1944 : « Nous en sommes aux débuts du comprendre » écrit-il à destination d'un petit enfant à l'occasion de son baptême. « Aujourd'hui tu reçois le baptême chrétien. On prononcera sur toi toutes les grandes paroles anciennes de l'annonce chrétienne et on accomplira sur toi l'ordre de baptiser donné par le Christ sans que tu y comprennes rien. Nous -mêmes aussi nous sommes renvoyés aux débuts du comprendre. Ce que signifie réconciliation et rédemption, nouvelle naissance et Esprit saint, amour des ennemis, croix et résurrection, vie en Christ et imitation de Jésus Christ, tout cela est devenu si difficile et si lointain que c'est à peine si nous osons encore en parler. Nous soupçonnons un souffle nouveau et bouleversant dans les paroles et les actions qui nous ont été transmises, sans pouvoir encore le saisir et l'exprimer. » (Résistance et soumission, p. 353)

Une attention plus soutenue est exigée de nous. Comme si nous entrions dans un pays nouveau. Le mystère du Royaume n'est peut-être pas près de s'éclaircir. Ce mystère, c'est le plan de Dieu pour le salut du monde. JC est venu le révéler mais l'intelligence humaine est incapable par elle-même de le saisir. Pour nous orienter sur la question du comment vivre, les évangiles nous offrent les paraboles. Ce ne sont pas des fables avec leur conclusion moralisante. Ce sont des récits empruntés à la vie quotidienne. Des petites histoires que l'on porte en soi, comme la terre porte la semence, et dont la signification surgit et évolue au cours de notre réflexion et de notre expérience.

 

 

La bonne nouvelle, c'est cette invitation à lire le monde comme une écriture, cette tâche d'interprétation qui fait que nous ne sommes pas prisonniers d'une loi grise ni de structures mentales qui nous contraignent à la soumission. Il nous est confié une tâche de création non de répétition. La parabole est un récit qui ne délivre pas un savoir mais qui dérange.

En somme, une invitation à préférer à l'injonction, à la parole performative la fonction vitale du récit : ces histoires tiennent tête au renoncement triste , à l'inquiétude et au doute. Elles ouvrent sur un horizon d'attente, celui qu'évoque Luc  17, 20 « Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous. »

 

Depuis le début de l'année, les enfants de l'Ecole biblique étudient le thème de la maison de Dieu et dessinent un arbre que vous verrez bientôt, je l'espère, accroché au mur de la sacristie. Il est vigoureux et ses branches portent les images de chacune des découvertes que cette année de réflexion commune leur a permis de faire, malgré la pandémie.

 

L'homme qui médite la parole « est comme un arbre planté près d'un cours d'eau, qui donne son fruit en son temps, et dont le feuillage ne flétrit pas. » (psaume 1)

 

Laissons la graine du semeur cheminer en nous et se disperser dans toute notre vie.

Amen

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jens Ferdinand Willumsen Une alpiniste
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