RAPPORT MORAL DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE 2025
Chers amis,
Le conseil presbytéral m'a suggéré que je fasse un bilan, non pas de l'année mais des 15 ans que j'ai passés ici. Ce qui suit sera donc une présentation, bien entendu partielle, non pas uniquement subjective, mais aussi pastorale, de ce qu'il faut bien qualifier d'un pan d'histoire de notre église. Ne craignez rien, ce ne sera pas si long que cela.
C'est une banalité que de le dire, le temps a une densité différente selon les perceptions, et selon notre situation vis à vis de l'objet dont nous tentons de qualifier la durée. Pour moi, ces 15 ans n'ont pas été longs, puisqu'en tant que pasteur j'ai été au cœur, c'est à dire en charge de la chaire, la chaire étant le lieu symbolique de la prédication, laquelle est la mission de l'église: annoncer la bonne nouvelle pour le nom de Jésus Christ. J'étais engagé dans ma fonction à vivre un renouvellement permanent et je n'ai réellement pas vu passer le temps. S'y ajoute une particularité neurologique qui me donne une grande capacité pour mémoriser le futur, mais qui provoque sans doute par compensation cette autre capacité qui est un défaut qui consiste à massivement synthétiser le passé en perdant au passage des données que mon cerveau a jugé à tort ou à raison inutiles pour justement fabriquer le futur. Mes excuses pour cela. Donc pour moi 15 ans, c'est juste un éclat, mais d'une très grande densité, de vie.
Je vais commencer par citer un extrait un des témoignages inscrits sur ce précieux livre d'or où ont été invité à s'exprimer les personnes et beaucoup l'ont fait lors de la Garden Party de vendredi dernier, qui a été une fête qui restera pour moi inoubliable et qui je pense ne sera pas oubliée par beaucoup. Merci entre parenthèses à toutes les personnes qui ont contribué à ce que cet événement puisse se produire, merci du fond du cœur. Je cite, parmi tous les témoignages, un ancien président de notre conseil presbytéral, et qui selon moi a été le président qui a permis la transition entre un ancien modèle et une nouveau modèle de représentation de notre église:
« les débuts furent pour toi une épreuve et tu t'es accroché. Tu nous parlais de ce projet de vie de la paroisse qui était assez théorique (selon moi). (L'auteur indique ensuite qu'il s'est éloigné de la paroisse pour d'autres raisons). Mais quel émerveillement à mon retour, quelques semaines avant ton départ. Ce projet de vie dont tu parlais, je l'ai vu, il est beau ». Tout est dit. Maintenant quelques concepts de théologie pratique, quelques faits et précisions. Il est important de nommer les choses, pour discerner les marqueurs d'évolution.
Une église est une assemblée de personnes qui se retrouvent à un endroit sans raison parfaitement, concrètement identifiable. Chacune de ces personnes a néanmoins un point de vue, plus ou moins précis, selon elle, sur l'assemblée qu'elle contribue à constituer. Chacune de ses personnes a tendance à croire que les autres personnes ont à peu près le même point de vue sur par exemple ce que devrait être/faire/ dire cette assemblée dont elle est partie prenante. Mais bien sûr, ce n'est pas le cas, et les plus engagés dans le fonctionnement le découvre assez rapidement, au travers de la difficile tache du dialogue, c'est à dire du travail de mise en circulation d'une parole (logos) à travers (dia) des interlocuteurs différents, au monologues différents.
Cette assemblée trouve un pasteur et le nomme et le met au centre, à la place la plus exposée, publique et lui confie la mission d'annoncer l'évangile chaque dimanche puisque c'est pour ça que celui-ci a été formé. Mais déjà, si l'énoncé est simple, chacune des personnes précédemment évoquée accorde à cette fonction des degrés d'importance différents. Pour la plupart, certes, le culte dominical est le centre de la vie de l'église, mais pour d'autres – en fait la majorité silencieuse du fichier paroissial étendu, non. Mais on le sait, le pasteur n'est pas qu'un travailleur du dimanche. Et c'est là où cela devient encore plus complexe: le reste de la mission de ce pasteur mis là est flou, souvent contradictoire et c'est normal puisque très souvent il n'y aucune définition propre , au delà d'un descriptif sommaire, du rôle de l'église et surtout de cette église là dans son contexte à elle, dans son biotope, et la mission du pasteur ne va pas de soi – contrairement à ce que la plupart des êtres singuliers que nous sommes s'imaginent. Mais seul le pasteur mis là sait que le mandat qu'on lui a donné est flou, disparate, contradictoire. C'est ça le problème. Chacun ne pense pas qu'il est flou, disparate voire contradictoire, puisqu'au départ, nous ne sommes que des personnes et pas la fiction d'un groupe qui penserait par définition la même chose. Sans doute aussi parce que les personnes présentes s'avouent rarement qu'elles ont été amenées ici par l'Esprit de Dieu, et qu'elles préfèrent s'imaginer ici pour une raison plus concrète à leurs yeux. Difficile en effet d'objectiver l'Esprit de Dieu, surtout quand on trouve ce type de Parole chez Jean: Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit; mais tu ne sais d'où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout humain qui est né de l'Esprit
Un peu d'histoire, par un exemple inaugural de cet éternel conflit des représentations : lors de mon conseil d'introduction à ce poste, on m'a bien dit que cette église était sur deux lieux de natures différentes , un résultat de la fusion volontaire et joyeuse de deux églises historiques différentes. J'ai très tôt cru répondre à ce que je percevais comme attente en écrivant mon premier éditorial sur le thème : du chemin à parcourir entre le temple de Port Royal et la Maison Fraternelle. Chemin que j'ai dû arpenter des milliers de fois. Ce qui ne peut que provoquer de la réflexion, la productivité bien connue de la marche.
Or quelques mois après, je reçois un mail m'interdisant de m'occuper de la Maison Fraternelle, de laquelle je n'avais d'ailleurs pas toutes les clés, ni l'agenda des occupations. C'est là que j'ai compris qu'il n'y avait pas eu de fusion, mais une simple fusion acquisition de la Maison Fraternelle par Port Royal. Quelle ne fut pas ma stupeur de comprendre qu'en fait l'ordre de mission qui m'avait été donné était une fiction. Je n'ai pas évidemment pas obéi à ce mail, et en 2011, mis en place la première garden party/ fête anniversaire de la Maison Fraternelle, pour activer le symbole dont j'avais l'intuition , et l'année suivante, avec une artiste peintre que je connaissais, et ses amis, j'ai produit une exposition qui a attiré autour de 200 personnes à la Maison Fraternelle. Succès, mais réactions internes négatives. Je n'avais rien discuté au préalable, j'avoue, mais le contexte faisait que pour moi c'était impossible, et que je pensais qu'il fallait agir vite. Mais depuis le principe d'accueillir des artistes, en particulier des jeunes artistes, ne s'est jamais été interrompu, est presque devenu une tradition, et si les arts plastiques avaient été bien présents dans un temps ancien de la Maison Fraternelle, le projet de vie inclue désormais des passerelles en divers domaines artistiques, avec la musique, avec l'écriture, et bien sûr, des expositions sont encore programmées pour l'année prochaine, mais en plus il y aura deux cours de dessin: précisément un cours de dessin et un autre de peinture, par des anciens élèves des Beaux Arts et la Maison Fraternelle a repris toute sa place dans ce qui est réellement devenue l'église protestante unie de Port Royal Quartier Latin, et elle a acquis une certaine notoriété dans le milieu parisien des écoles d'art.
Personne ne s'en souvient mais il faut le dire comme pour désigner un marqueur historique, le premier nom de cette église neuve était église réformée de Port Royal Maison Fraternelle, mais une assemblée générale composé d'une dizaine de personne a biffé le nom de Maison Fraternelle, pour le remplacer par Quartier Latin. CQFD. La Maison Fraternelle, c'est en fait un nom peut-être plus pertinent désigner l'église que nous sommes devenu, et cela n'a aucun rapport avec le bâtiment.
Je suis un pasteur avec une grande expérience des paroisses. Et en arrivant ici, malgré toutes les contraintes, après avoir constaté que la quasi intégralité des gens de la Maison Fraternelle canal historique avait démissionné avant que j'arrive (merci Louis d'être resté), malgré la prise de conscience que la paroisse dans laquelle j'avais été mis n'existait pas vraiment – ce dont personne n'était au courant- la fusion était récente. Bien que « la chaire » symbolique n'existait plus, puisque celles de Port Royal et de la Maison Fraternelle avait été fondues ensemble, bien que je savais aussi que j'étais seul sur deux postes dont un avait été supprimé par le licenciement de la deuxième pasteure, dont le poste n'a jamais été renouvelé sans conscience collective de ce non renouvellement, je savais aussi qu'il fallait, avec les moyens du bord, que j'utilise à bon escient la Maison Fraternelle, pour que non seulement elle rapporte plus d'argent, mais aussi pour que les actions qui s'y déroulent soient intégrées et prennent du sens, d'où la résistance au principe de garage associatif, et la mise en place d'une veille pastorale pour qu''à tout le moins des liens puissent se créer entre les divers acteurs qui peuplent nos locaux. Un souvenir inoubliable pour moi: faire retirer cette moquette qui tapissait tous les murs de la Maison Fraternelle. Tout cela a progressivement donné le projet de vie, vivant à la maison fraternelle et au Temple: musique, arts plastiques, écritures, conférences, concerts spirituels, création du choeur du temple, re création des musicales de port royal, soutien affiché de Scribe « notre troupe de théâtre humanitaire », cultes spécialement musicaux, et cette belle communion avec les musiciens de talents, protestants ou pas, chrétiens ou non.
Pourquoi j'ai fait ou orienté cela ? Pour simplement permettre à cette paroisse d'avoir une singularité, car je sais que c'est par cette singularité qu'elle pourra non seulement perdurer mais se renouveler et grandir, ce qu'elle fait discrètement.
Car les temps sont dur pour les églises. Les dix prochaines années 200 pasteurs auront pris leur retraite, seuls 100 sont appelés à les remplacer. Les grosses paroisses vont agréger davantage, les petites paroisses vont soit être absorbées, soit disparaître ou être récupérées par des fondamentalistes en soif missionnaire et adorant ce qu'ils appellent des friches; quant au moyennes, comme la nôtre, elle ne résisteront pas si elles n'ont pas cette singularité, laquelle permet une forme d'identification sereine, et provoque une attractivité.
Notre singularité c'est le lien réciproque que nous établissons avec les praticiens des arts, et toute forme de recherche de la beauté du sens.
C'aurait pu être chose. Il se trouve que cela me correspondait et au biotope très particulier de notre triangle d'or.
Un projet inclusif, mais aussi exclusif dans le sens où tout le monde n'est pas obligé d'y entrer. Mais pour tout le monde il y a toujours la vie coutumière de l'église:
le culte, les catéchismes, les formations, les assemblées thématiques, les groupe de prières les groupes bibliques, le groupe de jeune, la radio, les rencontres interpersonnelles, les invitations des uns chez les autres, le diaconat, mais je crois profondément qu'une paroisse a besoin d'un cœur qui irrigue même si ce cœur est caché et qu'on ne sait pas vraiment comment il procède. Nous confessons quasiment chaque semaine l'existence d'un Dieu créateur, et je crois donc pas qu'un tel projet de vie soit incohérent théologiquement.
Une église est un système ouvert et vivant, elle ne peut en aucun cas être représentée par une liste, même longue, d'activités, je dirai même qu'elle résiste à toute forme de définition stricte.
Elle est un corps vivant et elle a besoin d'un cœur qui l'irrigue, sans même que tout le monde doive s'en rendre compte.
Ce cœur concret, c'est notre projet de vie, mais selon moi, il est évidemment la métaphore concrète de l'ancrage de l'Esprit de Dieu.
C'est pour moi le rôle d'un pasteur, non pas de faire comprendre cela (j'y ai pratiquement renoncé) mais de le faire.
Après, ce corps peut évoluer. Mais ce n'est plus du ressort d'un pasteur qui part. Mais n'oubliez jamais, vous n'êtes pas une liste d'activités. Vous êtes un corps vivant et évolutif, et par définition inclusif. Un corps libre mais puisque vivant, dépendant des ressources que vous devez apprendre à repérer. Souvent sous vos yeux, souvent si discrètes que vous pourriez ne pas les voir, ou ne pas les considérer. D'où la nécessité de laisser non pas de laisser la porte ouverte, mais de laisser de multiples portes ouvertes, différents moyens d'accès.
Cette paroisse a payé sa contribution régionale cette année pour une fois sans angoisse, excessive et ce malgré nos frais de locaux de type exorbitant. Cette paroisse a un conseil presbytéral uni qui est présidé par un président conscient des enjeux. Cette paroisse va enfin avoir des réserves conséquentes grâce à la vente d'un de nos deux appartements. Cette paroisse a agrandi ses locaux après les avoir en grande partie rénovés et mis en sécurité . Cette paroisse a en très grande partie résolu le problème des fuites chroniques du à un immeuble rue Tournefort qui a été mal conçu sur ce point précis(et c'est de notre faute, car c'est bien nous l'église- en l'occurrence régionale- qui avons fait ce projet de rénovation immobilière rue Tournefort. Je me souviens d'une AG dont le thème principal était « les fuites »). La « chaire » de cette paroisse est désormais totalement constituée et c'est devenu l'évidence que le culte et la prédication sont importants. Cette paroisse accueille des nouvelles personnes chaque dimanche. Une bonne proportion d'entre eux s'engagent, à leur façon. La musique des cultes est splendide. Cette paroisse a un projet de vie maintenant compris et soutenu par beaucoup, elle commence à se percevoir elle-même comme un être vivant plein de qualités, et enfin, cette paroisse va avoir une sonorisation digne de ce nom. Voici la paroisse que j'aurais aimé trouver pour démarrer. Mais ma question reste, très personnelle, me serais-je débrouillé sans cet enjeu massif que j'ai trouvé en entrant? Cette question restera éternellement pour moi sans réponse.