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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

" Toi, tu le couperas"

Prédication du 24 mars (matin) , par Nicolas Bonnal



Luc chapitre 13, versets 1 à 9 (TOB)

 1 A ce moment survinrent des gens qui lui rapportèrent l’affaire des Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs sacrifices.

 2 Il leur répondit : Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens pour avoir subi un tel sort ?

 3 Non, je vous le dis, mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même.

 4 Et ces dix-huit personnes sur lesquelles est tombée la tour de Siloé, et qu'elle a tuées, pensez-vous qu'elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem?

 5 Non, je vous le dis, mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière.

 6 Et il dit cette parabole : Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint y chercher du fruit et n'en trouva pas.

 7 Alors il dit au vigneron : Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier et je n'en trouve pas. Coupe-le : pourquoi faut-il encore qu’il épuise la terre ?

 8 Mais l’autre lui répond : Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche tout autour et que je mette du fumier. 9 Peut-être donnera-t-il du fruit à l'avenir. Sinon, tu le couperas.

 

 

Voilà un texte difficile, dans la ligne de ceux qui le précèdent dans l’Evangile de Luc (c’est quelques versets avant que Jésus dit qu’il est venu apporter sur la terre non pas la paix, mais la division, père contre fils, mère contre fille, et même belle-mère contre belle-fille).

1 Un texte qu’on peut voir tout entier centré sur cette lancinante question qui nous perturbe tous, depuis que le monde est monde, celle du mal. Le mal que fait Pilate aux Galiléens, le mal encore plus scandaleux, peut-être, de la fatalité d’un bâtiment qui s’effondre et qui tue. Un texte d’une brutale actualité, tant le malheur est de tous les temps et que le notre en connaît sa part, que les hommes ou la fatalité en soient la cause. Un commentateur observe même que le nombre 18 (les 18 victimes de l’effondrement de la tour de Siloe), qui va revenir quelques versets plus loin, avec les 18 ans depuis lesquels une femme que Jésus guérit un jour de Sabbath est possédée d’un esprit qui la rend infirme, c’est trois fois six, soit le chiffre de la bête dans l’Apocalypse. Mais ne comptons pas sur cette indication numérologique qui nous laisse aujourd’hui assez indifférents, et ne comptons pas sur ce texte pour nous apporter une réponse. Ce mal est là, et Jésus dira au début du chapitre 17 qu’il est inévitable qu’il y ait des causes de chute. Nous ne savons pourquoi ni comment, mais le mal est là, dans le monde où vit Jésus comme dans le nôtre, et Jésus parle aux foules le langage de leur monde.

 

Ce texte nous parle du mal. Mais il nous parle plus précisément encore du péché, du salut et de la perdition. Et il le fait sans concession, dans un langage que nous avons du mal à entendre, parce qu’il peut sonner à nos oreilles comme le langage de la menace. Y résonne une certaine vision théologique traditionnelle, un appel à la conversion et aux bonnes œuvres pour éviter la perdition et la mort.

 La perdition et la mort sont encore là quand Jésus, continuant à parler à ses interlocuteurs le langage de leur quotidien, évoque, de façon plus buccolique, en apparence, un figuier, cet arbre qui annonçait la terre promise (Nombres, ch. 13, v 23), cet arbre si important pour le peuple juif, et pour tous les peuples de la Méditerranée. Mais décidément, ce texte est bien noir, et ce figuier est stérile, et il pourrait bien être coupé. Pourquoi ? Là encore, nous n’aurons pas de réponse.

 Alors, ne prenons pas ce texte avec nos idées préconçues, n’y cherchons pas des réponses à de vaines questions toutes faites. Lisons-le vraiment.

 

2. Deux parties distinctes composent le texte : les vv 1 à 5, puis les vv 6 à 9.

 - Dans la première partie, « des gens » rapportent à Jésus un drame de l’actualité récente. « Des gens », qui arrivent d’on ne sait où, qui interrompent sans façon le discours que Jésus tenait à ses disciples et aux foules. Des gens, on n’en sait pas plus. On ne sait pas non plus pourquoi ils racontent cela. Parce que, sans doute, tout le monde en parle. Même si le fait divers qu’ils racontent ne nous est pas autrement connu, on comprend qu’il s’agit de Juifs originaires de Galilée qui sont venus offrir un sacrifice au Temple, et que l’occupant romain a, pour une raison qui ne nous est pas révélée, fait tuer à ce moment-là. On ne nous le dit pas, mais les Galiléens ont la réputation d’être turbulents et, sans doute, c’est un vent de révolte qui a causé la répression. En tout cas, ce sont des Juifs tués par les Romains, dans le Temple, alors qu’ils offrent les sacrifices exigés par la loi. Il y a de quoi s’émouvoir.

 À ce drame de l’occupation romaine, Jésus ajoute de sa propre initiative un autre drame, un accident, cette fois, un terrible malheur, un mauvais hasard, qui tue dix-huit personnes qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Là encore, cela se passe au coeur de Jérusalem, près de la piscine de Siloé. Ce n’est pas n’importe quel lieu, c’est la fontaine où l’on puise de l’eau qui est conduite en procession au Temple pendant la fête des tentes. C’est aussi l’endroit où, selon l’Evangile de Jean, Jésus envoie l’aveugle dont il vient d’enduire les yeux d’une boue faite avec sa salive, se laver, et recouvrer la vue. La catastrophe a dû faire du bruit dans Jérusalem. L’actualité n’est pas étrangère à Jésus, évidemment, qui vit dans le même pays, à la même époque, on l’a dit, que « les gens ».

 Mais évidemment, il va faire autre chose de cette actualité que ce qui vient à l’esprit de ses interlocuteurs.

 Sans leur laisser le temps de protester, en posant une question purement rhétorique, à laquelle il apporte immédiatement une réponse, il bat en brèche l’interprétation classique qui est bien ancrée dans leur mentalité : si ces gens ont péri, et de manière aussi tragique, pense-t-on à l’époque, c’est qu’ils étaient coupables, ou que leurs pères l’étaient. C’est qu’ils ont été punis de ces fautes, punis par Dieu. C’est l’univers dans lequel vivaient les contemporains de Jésus, un univers holistique dans lequel tout a une explication, où ce sont les fautes du Roi qui expliquent qu’il ne pleuve pas sur le pays, et où ce sont les fautes des pères qui causent la mort des enfants.

 Pourtant non, Jésus n’entre pas dans cette logique mortifère. Il nous l’affirme, Dieu n’est pas derrière Pilate, il n’est pas derrière le mauvais hasard. Il ne tire pas les ficelles de ces drames, et ne les utilise pas pour punir les humains de leurs fautes.

 Ces tragédies, Jésus ne cherche pas à les expliquer. Il les prend comme elles sont, il les utilise pour enseigner ses interlocuteurs. Et l’avertissement qu’il leur donne, lisons-le bien. Il peut sembler, à première lecture, rester dans la veine de ce qui précède, ne pas rompre radicalement avec la logique de la punition : ceux qui ne se convertissent pas connaîtront un sort semblable à celui des Galiléens tués avec les animaux qu’ils sacrifiaient, à celui des malheureux qui se trouvaient sous la tour de Siloé au moment où elle s’effondrait.

 Mais une telle lecture reste dans la logique d’un rapport de cause à conséquence. Alors que ces drames sont là, qu’ils sont survenus, qu’ils peuvent advenir à nouveau, qu’ils adviendront à nouveau. Jésus ne cesse d’appeler à la vigilance, il est saisi par l’urgence d’un monde dont il annonce la fin prochaine., en invitant tous ceux qui l’écoutent à en discerner les signes.

 S’agit-il donc de se convertir pour être prêt pour le jour du jugement, dont il parlait aux foules juste avant d’être interrompu par l’histoire des Galiléens tués par Pilate ?

 Peut-être. Mais n’est-ce pas aussi que, si Jésus invite les gens à se convertir, c’est-à-dire, en grec, à changer d’intelligence, c’est parce qui compte vraiment, c’est que l’on peut vivre, tout de suite, immédiatement, sans attendre. La véritable urgence, ne serait-ce pas de vivre, et de vivre bien, j’entends de vivre de cette intelligence nouvelle qui est le vrai fruit de la conversion ?

 - Mais c’est à ce moment-là que Jésus choisit de quitter le commentaire d’actualité, pour raconter une histoire, une parabole. Pour prendre de la distance. C’est la deuxième partie de notre texte.

 Dans cette histoire, le maître (Dieu ? Attention, les paraboles ne sont pas des allégories, où chaque personnage de l’histoire représente quelqu’un de situé, c’est toujours plus compliqué que cela) semble rester dans la même logique que précédemment : le figuier ne donne pas de fruit, et il faut donc le couper.

 La même logique, si l’on assimile, bien sûr, le fait, pour un figuier stérile, de porter enfin du fruit, à celui, pour l’homme pêcheur, de se convertir. À ce stade, il est utile de faire un bref détour vers un autre figuier, que, selon Matthieu (ch. 21, vv. 19-22) et Marc (ch. 11, vv. 13-14 puis 20-25), Jésus maudit. Deux textes autrement terribles que le notre. Jésus, qui chemine de Béthanie à Jérusalem, a faim, avise ce figuier, et le trouve dépourvu de fruits. Alors il le maudit : jamais, lui dit-il, tu ne porteras plus de fruit. Et le figuier se dessèche, en un clin d’oeil (Matthieu) ou dans la nuit qui suit (Marc). L’injustice est d’autant plus totale que Marc nous le précise, ce n’était pas la saison des figues : et pour cause, la scène, dans les deux récits, a lieu juste après les Rameaux ! De ce figuier desséché par sa seule parole, Jésus tire ensuite un enseignement sur la puissance de la foi, qui dessèche les figuiers et déplace les montagnes. Il n’en reste pas moins une impression étrange, d’un geste d’une grande violence, de ce qui ressemble à un caprice, à du dépit.

 Notre figuier à nous, le figuier de Luc, lui, se démarque radicalement de ce figuier maudit, puisque, s’il est question de le couper, c’est en tout cas ce que souhaite le maître de la vigne, il obtient un sursis.

 Ce sursis, il est tout entier dans le dialogue entre le maître et le vigneron. Un dialogue qui évoque celui d’Abraham et de Dieu à propos de Sodome et Gomorrhe (Gn 18, vv 16 à 33) : comme le maître veut couper le figuier, Dieu veut détruire les villes pécheresses. Abraham entre en négociation avec Dieu, au nombre de justes que devraient contenir ces villes pour échapper à la destruction. Et au terme de ce marchandage, il arrive à ses fins, pour ainsi dire à l’usure.

 Le maître est rationnel : ce figuier puise eau et énergie dans le sol, mais il ne produit pas, et c’est donc pour rien qu’il détourne une partie de l’eau et de l’énergie dont la vigne tout autour a grand besoin, une vigne qui, il n’est même pas besoin de le dire, elle, produit du raisin en abondance.

 Et cela depuis trois ans ! La patience et le gaspillage ont leurs limites.

 L’ordre de le couper sonne comme la sanction promise à celui qui ne s’est pas converti, que l’on peut lire, on vient de le voir, dans la première partie du texte.

 Mais c’est là qu’intervient le vigneron : le vigneron, notons-le, dont la tache unique est de soigner la vigne. Pourtant, ce n’est pas ce vigneron qui est allé voir le maître pour se plaindre de ce figuier stérile et parasite.

 Et bien au contraire, il va tenir tête au maître. Il se pose face à lui comme Abraham s’est tenu devant l’Eternel. Mais, Abraham comptait les justes restant à Sodome et Gomorrhe.

 Ici, pas un fruit sur l’arbre ! Pas même dix, comme les dix justes avec lesquels Abraham a emporté la mise. Non, avec fermeté et tranquillité, mais sans rien de tangible sous la main, le vigneron, tient tout simplement le discours de l’espérance. Une espérance d’une grande humilité : après tout, il ne s’agit pas d’autre chose que de bêcher et de mettre du fumier ! Je ne suis pas un spécialiste de l’entretien des figuiers, mais je doute un peu que ce soit suffisant…

 C’est que ce n’est pas vraiment le problème. Tout est dans le « peut-être » ! Et si l’arbre donnait du fruit à l’avenir ? Rien n’est sûr, mais aidons-le, et faisons-lui confiance. C’est l’irruption de l’espérance, c’est l’avènement de la grâce.

 L’irruption dans le coeur du dialogue entre le vigneron et le maître, c’est-à-dire dans notre présent, d’une immense confiance qui nous est faite, qui transforme l’espérance en promesse : oui, Jésus nous le dit, frères et sœurs, comme le figuier stérile, nous pouvons porter du fruit.

 

Amen.

" Toi, tu le couperas"
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