"Votre monde n'est peut-être pas si perdu que ça"

Prédication du 2 décembre 2018, par Robert Philipoussi



LECTURE Luc 21.25-36

 25 Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, et, sur la terre, une angoisse des nations qui ne sauront que faire au bruit de la mer et des flots ; 26 les humains rendront l'âme de terreur dans l'attente de ce qui surviendra pour la terre habitée, car les puissances des cieux seront ébranlées. 27 Alors on verra le Fils de l'homme venant sur une nuée avec beaucoup de puissance et de gloire. 28 Quand cela commencera d'arriver, redressez-vous et levez la tête, parce que votre rédemption approche. 29 Il leur dit encore une parabole : Voyez le figuier et tous les arbres. 30 Dès qu'ils bourgeonnent, vous savez de vous-mêmes, en regardant, que déjà l'été est proche. 31 De même, vous aussi, quand vous verrez ces choses arriver, sachez que le règne de Dieu est proche. 32 Amen, je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive. 33 Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. 34 Prenez garde à vous-mêmes, de peur que votre cœur ne s'alourdisse dans les excès, les ivresses et les inquiétudes de la vie, et que ce jour n'arrive sur vous à l'improviste, 35 comme un filet, car il viendra sur tous ceux qui habitent la surface de toute la terre. 36 Restez donc éveillés et priez en tout temps, afin que vous ayez la force d'échapper à tout ce qui va arriver et de vous tenir debout devant le Fils de l'homme.
 

PRÉDICATION

 25 Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, et, sur la terre, une angoisse des nations qui ne sauront que faire au bruit de la mer et des flots ; 26 les humains rendront l'âme de terreur dans l'attente de ce qui surviendra pour la terre habitée... »

 Pour cette prédication, j'ai relu ces lignes apocalyptiques. Oui, relues, parce que comme beaucoup, je les avais déjà lues, ces lignes-ci ou leurs semblables . Et toute une partie de l'humanité les entend et les ré entend depuis plus de deux millénaires. Mais cette fois-ci, je l'avoue, j'ai eu une sensation supplémentaire. Une sensation de proximité supplémentaire. Alors que d'habitude ces textes là restent très loin de moi, et je suppose de la plupart d'entre nous.

 Comme beaucoup de monde l'a déjà beaucoup dit «  la fin du monde » c'est vraiment une histoire ancienne. Un domaine de la théologie s'en occupe. Il est appelé l' eschatologie, ou la « science des choses ultimes » (ta eschata, en grec). Ces « choses ultimes » surviennent dans une révélation, finale, dans le geste du soulèvement d'un voile obscurcissant, et ce retrait du voile a donné le mot « apocalypse » en grec , qu'on traduit donc par révélation.

 Histoire ancienne, très ancienne, qui est basée sur une tentative intellectuelle et collective. La tentative pour l'humain de résoudre un paradoxe angoissant.  Cet humain est confronté à la fois à la connaissance de sa finitude et aussi à la simple constatation que l'univers lui, dans lequel vit cet humain, est permanent . Il voit cet humain, que son univers se prolongera largement au delà de sa disparition individuelle et que celle-ci n'affectera en rien cet univers-là. Et cet humain qui pense est troublé. Alors, pour évacuer ce trouble, pour évacuer cette tension angoissante, cet humain invente toute une littérature et des croyances diverses- qui parlent de vie après la vie, qui parlent de fin du monde, pour conjurer ces deux évidences contradictoires  : celle du « tout meurt avec moi » et celle du « rien ne manquera à l'univers après ma mort ». Ainsi, explique-t-on, l'annonce d'une fin radicale du monde, avant d'être une cause de frayeur, serait d'abord une sorte de conjuration – très inventive finalement – du malaise occasionné par le phénomène d'une mort individuelle définitive survenant en plus dans l'indifférence générale du monde. Dans ces fins du monde, qui sont toutes des fausses fins et des nouveaux départs, non seulement le monde est recréé, mais moi aussi, de façon très diverses selon les genres de littérature, je ressuscite.

Le christianisme n'a pas été le premier à produire ce type de littérature et de croyances mais pour en rester à lui, je vais brosser à gros traits quelques cycles de ce type de croyance sur les « choses ultimes » « les fins dernières ».

Le christianisme dit primitif a d'abord été partisan de ce qu'on a appelé une « attente proche ». Tous les textes apocalyptiques du nouveau testament, comme notre texte du jour, sont de cette tendance.  Avec de nombreuses nuances, divers calculs, mais c'est la même attente « proche ». «  cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive » dit notre texte.

Lors de ce qu'on appelait en grec la « parousia » ou en français courant, la « présence » ou la « venue » du Fils de l'homme ou de la revenue du Christ, à ce moment-là, tout sera récapitulé. Tout retournera à son état originel. Dans les premiers temps du christianisme, on croyait au salut universel et même si on pensait que beaucoup allaient devoir passer par une épreuve purificatrice pour être sauvés, (contrairement aux autres, les vrais engagés, qui allaient sauter cette épreuve).

C'est comme cela qu'au début du christianisme, et sous des formes donc assez diverses, on envisageait la fin du temps.

Mais voilà, deuxième mouvement, cette « attente proche » s'est peu à peu transformée en « attente lointaine » puisque personne ne revenait. Personne ne venait tout récapituler. Alors on a commencé à inventer avec Augustin une nouvelle théorie pour ces choses de la fin. Jugement dernier certes, mais désormais une nette séparation entre les damnés et les élus. Et c'est à ce moment là que l'enfer a commencé à réellement exister, si je puis dire, ainsi qu'un paradis qui a pris en gros la forme du jardin d'Eden. Mais c'était un peu dur. Ce qui a conduit l'Église, qui était devenue entre temps très massive, à inventer une solution de synthèse. Qui s'est appelée le purgatoire. Mais vous le savez, cette solution- pourtant ingénieuse- s'est transformée en aubaine commerciale. Puisque pour diminuer le temps de purgatoire, il fallait payer des indulgences.

Ce qui a déchainé le mouvement de la Réforme, qui a tenté de rétablir le dogme d'augustin pur et dur.

Et puis bon an mal an, malgré les craintes millénaristes qui se sont succédées – mais qui n'ont jamais eu l'ampleur que de pseudos historiens ont raconté- peu à peu, avec le développement de l'esprit critique. De l'esprit des lumières, de la science et du positivisme, tous ces compartiments de « l'attente lointaine » ont disparu. D'abord, le purgatoire, puis l'enfer, et enfin le paradis. Ces trois compartiments font encore partie d'un certain imaginaire légendaire, mais ne sont plus vraiment des croyances.

 La théologie du 20e siècle, a tenté de rattraper le coup, en inventant une sorte d'« eschatologie du présent ». La venue du Christ se ferait désormais dans le cœur des gens. Le Règne de Dieu serait désormais ici et maintenant. L' apocalypse serait désormais la simple et consistante – sans nul doute - révélation de la présence de Dieu. Lumière au milieu de tous les facteurs d'obscurcissement.

 Donc en gros, cette pulsion de construction d'un scenario pour la fin, a peu à peu quitté le christianisme. Sauf dans les courants fondamentalistes, qui continuent vaillamment à prêcher que la fin du temps est toujours aussi proche, qu'elle est aussi proche qu'il y a 2000 ans. Cette pulsion qui aime « voir la fin  de choses » s'est échappée et chacun sait qu'elle a migré dans de nombreux courants politiques. Millénarisme laïcisé, messianisme athée, religion séculière : Hegel, lorsqu'il voit en Napoléon l'Ame du monde, et Marx, lorsqu'il annonce le paradis sur terre, ne sont jamais que de lointains descendants de l'abbé et visionnaire calabrais Joachim de Flore, celui qui, au XIIe siècle, avec sa théorie des trois règnes successifs du Père, du Fils et de l'Esprit, va inspirer ceux qui vont transformer la théologie en une idéologie du progrès. Le progrès qui n'est pas du conçu comme une « développement » mais qui va vers son achèvement, son apothéose. Un progrès, pas une simple marche. La lutte finale, est une expression typiquement eschatologique.

 La fin dernière, dans les premiers temps du christianisme, c'était de la joie. Et pas de la peur. Même s'il y a des prophéties qui parlent de frayeur généralisée, c'était la conscience d'un salut universel. Ensuite, quand ce salut est devenu moins universel, c'était quand même la fin de l'angoisse de la mort individuelle dans un monde indifférent. Même dans le cycle d'attente lointaine, il y avait encore cette assurance, cette « rassurance », de pouvoir être sauvé. Je mourrai certes, mais un jour certes lointain tout sera récapitulé et le monde ne va pas me dévorer avec son indifférence. Ma vie a du sens. J'endure maintenant, mais un jour la Justice parlera. Joie. Certitude. Et dans les iidéologies politiques du progrès, aussi : joies, disparition de l'angoisse et certitude. Certes, la révolution sera un cataclysme, mais quand du passé sera fait table rase, le genre humain sera revivifié et moi avec.

 Alors, aujourd'hui on parle beaucoup d'apocalypse, d'effondrement. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, on évoque même assez doctement la fin de l'humanité elle-même. Mais ces représentations des « choses ultimes » n'a pas grand chose à voir avec toutes les représentations anciennes qui étaient de puissants vecteurs d'espérance.

Même si avec le recul on se dit qu'elles étaient basées sur des rêveries collectives. Des rêveries élaborées tout de même par des théologiens pertinents! Qui faisaient leur boulot: permettre aux humains de ne pas être saisis par la conscience de leur solitude et de leur finitude pris qu'ils étaient dans cette espèce d'insupportable permanence du monde. Oui, des gens, néanmoins ont vécu. Ils ont construit, et se sont arc boutés sur ces espérances pour ne pas considérer que leurs existences étaient vaines.

 Aujourd'hui, ils semblerait que les messages diffusés n'excitent que le côté sombre de l'apocalypse. Ne fassent qu'un copier collé d'extrait de textes anciens comme par exemple de ce texte de Luc «  dans l'attente de ce qui surviendra pour la terre habitée. ».

 Sauf qu'aujourd'hui, il devient difficile de trouver de la ré assurance dans les propositions religieuses ou politiques. Sauf à se tourner vers les fondamentalismes qui ont le vent en poupe, car ils se nourrissent des peurs. C'est pourquoi, dans le vent d'information dans lequel nous sommes :effondrement, crise globale, dérèglement climatique, réduction de la bio diversité, nous restons pantelants. Et cette musique apocalyptique de L'évangile de Luc semble être plus proche de nous que jamais.

 Mais moi, qui suis donc plongé comme tout le monde dans cette ambiance apocalyptique de laquelle on a retiré sa partie espérance , ce qui n'a donc rien à voir avec les apocalypses bibliques ou les théories traditionnelles du christianisme, moi, je fais quoi et bien je retiens trois petits mots de ce texte de Luc: «  Restez donc éveillés »

 Restés éveillés déjà au milieu de de flot continu d'informations catastrophiques. C'est-à-dire : travaillez, séparez le bon grain et l'ivraie. Analysez le discours des catastrophistes.

Restez éveilles aussi face à des gens qui armés de leurs statistiques et de leur calculette nous disent que le monde n'a jamais été aussi bien, du point de vue sanitaire, du point de vue de morts de guerres, du point de vue de l'égalité homme femme , du point de vue du droit des enfants. Restez éveillés aussi face à eux, qui prennent le contre pied des catastrophistes. On a vite fait de retomber dans la béatitude. On a vite fait, de tous les côtés, de se faire endormir.

 Restez éveillés face à Dieu. La Raison a peut-être réussi à nous débarrasser de pas mal de croyances millénaristes, mais pas de Dieu, pas de la foi. Être réveillé vis à vis de Dieu, c'est aussi de ne pas en faire le Dieu méchant de la catastrophe punitive comme du temps du déluge.

 Restez éveillés aussi pour voir tout ce qui se passe. Toutes ces prises de conscience qui circulent dans le monde. Les immondes, les profiteurs, les prédateurs, les sanguinaires, les dictateurs, les harceleurs, certes on ne peut pas toujours les arrêter, - on les arrêtent de plus en plus - mais de plus en souvent, en tous les cas, ils ont du mal à agir dans l'ombre, et même leurs horreurs qu'ils produisent finissent par se savoir.

Restez éveillés en comptant non pas les moutons, car vous allez vous rendormir, mais en comptant toutes ces actions de solidarité qui changent le monde mieux sans doute que n'importe quelle idéologie du progrès avait pu le concevoir.

Restez donc éveillés. Votre monde n'est peut-être pas si perdu que ça. Et votre existence, dans ce mouvement d'engagement pour ne pas le perdre, prendra tout son sens.

 

AMEN

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