" le supplément d'intelligence" Prédication R.P

donnée en l'Église évangélique luthérienne St Marcel, à l'occasion de la fête de la Réformation 2017



Lecture : Exode 22. 20-26

20 Tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas, car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Égypte.21 Vous n’accablerez pas la veuve et l’orphelin. 22 Si tu les accables et qu’ils crient vers moi, j’écouterai leur cri. 23 Ma colère s’enflammera et je vous ferai périr par l’épée : vos femmes deviendront veuves, et vos fils, orphelins.24 Si tu prêtes de l’argent à quelqu’un de mon peuple, à un pauvre parmi tes frères, tu n’agiras pas envers lui comme un usurier : tu ne lui imposeras pas d’intérêts.25 Si tu prends en gage le manteau de ton prochain, tu le lui rendras avant le coucher du soleil.26 C’est tout ce qu’il a pour se couvrir ; c’est le manteau dont il s’enveloppe, la seule couverture qu’il ait pour dormir. S’il crie vers moi, je l’écouterai, car moi, je suis compatissant !

 

Lecture : 1 Thessaloniciens 1.5-10
1Paul, et Silvain, et Timothée, à l'Eglise des Thessaloniciens, qui est en Dieu le Père et en Jésus-Christ le Seigneur: que la grâce et la paix vous soient données! 2Nous rendons continuellement grâces à Dieu pour vous tous, faisant mention de vous dans nos prières, 3nous rappelant sans cesse l'oeuvre de votre foi, le travail de votre charité, et la fermeté de votre espérance en notre Seigneur Jésus-Christ, devant Dieu notre Père. 4Nous savons, frères bien-aimés de Dieu, que vous avez été élus, 5notre Evangile ne vous ayant pas été prêché en paroles seulement, mais avec puissance, avec l'Esprit Saint, et avec une pleine persuasion; car vous n'ignorez pas que nous nous sommes montrés ainsi parmi vous, à cause de vous. 6Et vous-mêmes, vous avez été mes imitateurs et ceux du Seigneur, en recevant la parole au milieu de beaucoup de tribulations, avec la joie du Saint Esprit, 7en sorte que vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants de la Macédoine et de l'Achaïe. 8Non seulement, en effet, la parole du Seigneur a retenti de chez vous dans la Macédoine et dans l'Achaïe, mais votre foi en Dieu s'est fait connaître en tout lieu, de telle manière que nous n'avons pas besoin d'en parler. 9Car on raconte, à notre sujet, quel accès nous avons eu auprès de vous, et comment vous vous êtes convertis à Dieu, en abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et vrai, 10et pour attendre des cieux son Fils, qu'il a ressuscité des morts, Jésus, qui nous délivre de la colère à venir.


Proclamation de l’Evangile de Matthieu 22.34-40
34 Les pharisiens, ayant appris qu'il avait réduit au silence les sadducéens, se rassemblèrent, 35 et l'un d'eux, docteur de la loi, lui fit cette question, pour l'éprouver : 36 Maître, quel est le plus grand commandement de la loi ? 37 Jésus lui répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, et de toute ton intelligence. 38 C'est le premier et le plus grand commandement. 39 Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 40 De ces deux commandements dépendent1 toute la loi et les prophètes.


PRÉDICATION
Comme beaucoup l'ont appris à l'occasion de cette année exceptionnelle, être protestant ce n'est pas qu'une identité confessionnelle. C'est un geste, un mouvement.

Qui signifie  : témoigner devant. Ce geste est oecuménique. Dans le plus large sens du terme. C'est le geste de chacun qui est appelé à se lever et à se mettre devant pour témoigner. De la vérité, devant l'erreur – et devant les systèmes qui produisent l'erreur, et devant ceux qui gèrent ces systèmes. Témoigner. De l'espérance, devant l'angoisse, et ce qui la produit. Témoigner de la justice, devant ce qui semblait devoir être considéré comme normal, et donc devant ceux qui trouvent l'injustice normale. Témoigner de sa foi, devant toutes les raisons de la perdre. Témoigner de la raison, devant tout ce qui pourrait pervertir par le biais d'arguments fallacieux l'évangile en tant que bonne nouvelle.

Nul besoin d'être protestant, luthérien, évangélique, réformé, ou catholique, ou même chrétien pour protester devant ce qui soudainement nous apparaît comme un désordre. Comme une distorsion de ce que les croyants appellent la volonté de Dieu.

Un artiste lui-même témoigne de la beauté, c'est à dire de l'harmonie devant un monde à recréer parce qu'il perd son harmonie.

Cette protestation court partout dans la Bible. Elle est le mouvement des prophètes et de tous ceux qui se lèvent et témoignent par leur parole et leurs actes. Mais le premier à témoigner devant, selon la Bible, c'est Dieu. Devant l'informe et devant le vide, devant les ténèbres il dit : « que la lumière soit ».

(Une façon de dire que Dieu est protestant et pratiquant en plus !)

Jésus est bien entendu dans la généalogie de ce geste fondateur. Très jeune, à 12 ans, après une fugue de trois jours, il a témoigné de sa logique devant des Maîtres, dans le Temple de Jérusalem. De sa logique, c'est à dire de cet ordre, de cette harmonie qu'il sentait déjà en lui, et qu'il sentait sans doute déjà très peu compatible avec tout ce qui par la suite allait lui apparaître comme un désordre majeur suscité par l'oubli de ce qui selon lui était l'essence même de la Torah et des commandements.

Et aujourd'hui, après bien des controverses avec nombre d'interlocuteurs qui lui ont tendu des pièges, Jésus est confronté à un énième sachant, un Docteur de la loi. Et encore une fois, il va devoir témoigner devant. Devant ce sachant, mais aussi devant chacun d'entre nous, ce matin. Parce qu'il va réveiller une parole ancienne, parce que, pour notre salut, il a l'intention de profiter de ce piège pour réanimer le cœur de la Torah.

Le piège est grossier : « quel est le plus grand commandement ? » Répondre dans les termes de la question, ce serait annihiler le principe même de la torah qui forme un tout, comme le peuple forme un tout, comme l'humanité forme un tout, comme l'homme et la femme sont l'humain, comme la création forme, elle aussi un tout.

Jésus va-t il donc apparaître comme un sectateur, c'est à dire quelqu'un qui dans l'analyse de l'ensemble va trouver 1 élément, va le mettre en exergue et réussir fanatiser des masses de gens parce que : ça va être simple  ? Non, Jésus cite d'abord le cœur de la Torah, un extrait du Shema Israël, une parole aussi forte que «  la lumière soit » . Il cite de Dt 6, 5 : Tu aimeras l’Eternel, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta force

Mais... il y a un souci. Si vous avez bien écouté la lecture tout à l'heure, vous connaissez ce souci. Jésus dit, devant ce docteur de la loi : «  Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, et de toute ton intelligence »

C'est donc qu'il remplace de toute ta force par de toute ton intelligence. Le fait-il parce qu'il a une autre version du texte ? Je ne vais pas entrer dans le détails. Le fait scripturaire est là. C'est sa version du plus grand des commandements. Pourtant, Jésus grand connaisseur de la Bible connaissait cet autre passage du Deutéronome, au chapitre 4 :

 

Dt 4 2 : Vous n’ajouterez rien à ce que je vous prescris, et vous n’en retrancherez rien

Jésus ici, dans ce passage de Matthieu, fait les deux : il retranche et il ajoute !2

 

Il a raison ! Le cœur pour les hébreux, c'est le siège de la décision. L'âme, c'est l'organe qui conduit le souffle de vie. La force, c'est la force tout simplement, la force corporelle et morale. Mais il n'y avait pas l'intelligence, la faculté de comprendre3 – y compris le commandement lui-même ! Comment en effet comprendre le plus grand des commandements sans utiliser toute son intelligence pour le comprendre !

Au-delà de l'adresse astucieuse à ce docteur de la loi, astucieuse par ce que le commandement use de la deuxième personne du singulier (« Tu aimeras » : ce qui doit titiller notre pharisien comme si le commandement lui était directement adressé), le pharisien doit sans doute en plus fouiller dans sa mémoire des versions de cette loi écrite et pendant ce temps se retrouve désigné furtivement -mais devant tout le monde- comme sans intelligence.

Au delà du procédé de sortie du piège, il y a dans cette réponse deux éléments qui qualifient la véritable protestation :

Elle n'est pas qu'un témoignage d'un ordre ancien qu'il s'agirait de rétablir. Dans le geste de la protestation dans le sens défini au début de cette prédication, il y a un « augment » « un supplément » il y a du « nouveau »

Pour le dire d'une façon encore plus claire : comment la bonne nouvelle pourrait elle être bonne si elle n'était pas « nouvelle » ! Ce n'est pas qu'un jeu de mot, c'est l’énergie même du christianisme qui s'est développé exponentiellement au début de notre ère (cf lecture de 1 Thess.). Et c'est aussi, à un moindre niveau, l'énergie de la Réforme, qui se prétendait « rétablir » mais qui de fait a « inventé du nouveau ».

Ici ce qui est nouveau, au début de notre ère, c'est l'intelligence, pour que ce commandement prophétique «  Tu aimeras » encore inaccompli, pour qu'il s'accomplisse pleinement dans un futur encore plus proche quand nous y mettrons en plus toute notre intelligence.

Mais Jésus n'est pas encore sorti du piège qui lui a été tendu, dans la mesure où il n'a cité, même s'il est central, qu'un seul commandement. Pour respecter la logique de la torah, qui est aussi celle du décalogue, qui est un tout condensé de l'ensemble, il faut aussi inclure le prochain. D'où cette citation de Lévitique 19 « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Ce chapitre est inclus dans un ensemble qui s'appelle le code de sainteté, dont le contenu encadre la « pureté » du peuple, ce qui n'est pas incidence sur le contexte de cette controverse avec ce pharisien, qui est un tenant de la pureté puisque le terme de « pharisien » désigne ceux qui se sont « séparés » pour des motifs de pureté rituelle, donc qui semblent, selon la loupe particulière de écrits évangéliques, se considérer comme « purs ».

Tu aimeras ton prochain comme toi même.
La version grecque, tirée de la septante ne semble pas souffrir d’ambiguïté, il s'agirait d'une traduction de l'hébreu très inspirée par la fameuse règle d'or qui circulait beaucoup à l'époque de la rédaction de la Septante4, en gros « traite les autres comme tu voudrais être traité ». Et c'est comme ça que nous aussi, nous comprenons ce commandement, aime ton prochain comme tu t'aimes toi. Mais, pour parler franchement, je n'ai jamais aimé cette fameuse règle qui ne me semble pas en or massif. C'est simple : si tu aimes être maltraité – ce qui existe, et souvent de façon inconsciente – vas tu donc devoir maltraiter ton prochain ? Et si tu ne t'aimes pas, ça existe – qui s'aime le matin mal réveillé en se voyant dans son miroir ? Vas tu donc devoir détester ton prochain ? Hélas, je crains fort qu'une fadaise, une insulte à l'intelligence, nous ait été transmise !

Parce qu'en hébreu, dans le texte originel qui nous a été transmis, l’ambiguïté est beaucoup plus forte, et si la façon habituelle de voir les choses est admissible :

façon grossière « tu aimeras ton prochain comme tu t'aimes toi même » ou plus subtile «Tu dois aimer ton prochain comme [toi aussi tu dois t’aimer] toi-même », cette façon ne correspond absolument pas à ce qu'on croit connaître de la psychologie biblique. L'amour de soi, cela semble irrémédiablement moderne.

L’hébreu permet une autre façon de traduire, c'est la façon de Hegel (qui était luthérien!), par exemple et de bien d'autres qui aiment ne pas en rester aux idées reçues. La formulation, elliptique aussi, devrait alors être complétée ainsi : « Tu aimeras ton prochain, [lui] qui est comme toi ». Tu aimeras ton prochain qui est toi, parce que vous êtes de la même humanité. Et parmi ces prochains, comme l'a rappelé la première lecture, il y a l'immigré, la veuve, l'orphelin, le créancier, tous ces gens qui forment un peuple, le peuple de Dieu, le peuple censé être UN comme le Seigneur est UN.

Jésus doit inévitablement faire résonner dans les oreilles du pharisien ce sens là, non pollué par la règle d'or, non pollué en l'occurence par le grec parce que Jésus devait citer ce commandement en hébreu. Jésus devant ce pharisien, et devant nous, témoigne donc qu'il n'y a pas de séparation réelle. Devant Dieu il n'y pas de pharisiens, de nazoréens, d'impurs ou de purs, il n'y a que des prochains qui sont comme moi-même qui est comme ces prochains, parce qu'il n'y a qu'un seul peuple, comme Dieu est UN.

Voilà donc, frères et sœurs, ce qu'accomplit Jésus dans cette controverse qui aurait pu lui être fatale :

Il témoigne de la solidité de la torah, qu'il prend au cœur, une torah inclusive des respects de Dieu et de l'humain simultanément. Sans cette simultanéité, ce passage incessant de l'un à l'autre, il n'y aucune possibilité que ce futur de « Tu aimeras » se réalise, même dans plusieurs millénaires.

Il témoigne devant ce pharisien et devant nous ce matin de la nouveauté évangélique qui inclut désormais l'intelligence au cas où nous serions poussés à croire qu'il nous faudrait suivre sans comprendre, agir sans entendement, subir des logiques dépressives et mondaines en nous figurant qu'elles sont normales.

Jésus témoigne de l'unité de l'humain, devant ce pharisien qui a fait de la séparation un dogme.

C'est donc à nous sans doute de prendre ce train prophétique, qui vient juste de démarrer pour rejoindre cet encore inaccompli du « tu aimeras » .
Il n'y a qu'un seul geste à faire pour que cet inaccompli s'accomplisse: témoigner devant, de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute notre force, et aussi de toute notre intelligence.

AMEN.





NOTES --------------------------------------------------------

1 Littéralement : auxquels toute la loi et les prophètes sont « suspendus » (même terme que pour le Christ sur la croix)
2 Pour l'anecdote, un autre évangile, celui de Marc, au chapitre 12 relate que Jésus non seulement cite l'incipit du Shema mais ne fait qu'ajouter « l'intelligence » en la mettant devant « la force » l : Ecoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est l’unique Seigneur: 30 et: Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ton intelligence, et de toute ta force.
3 En grec : pensée qui traverse.
4 La Septante est une traduction de la Bible hébraïque en grec commun. Selon une tradition, la traduction de la Torah aurait été réalisée par 72 traducteurs à Alexandrie, vers 270 av. J.-C.
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