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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

"LA GRACE EST-ELLE JUSTE ?" Prédication du 12 février . Matt. 5/17-26



MATTHIEU 5, 17-26.
 17 Ne pensez pas que je sois venu pour abolir la Loi ou les Prophètes. Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir. 18Amen, je vous le dis, en effet, jusqu'à ce que le ciel et la terre passent, pas un seul iota ou un seul trait de lettre de la Loi ne passera, jusqu'à ce que tout soit arrivé. 19Celui donc qui violera l'un de ces plus petits commandements et qui enseignera aux gens à faire de même sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux, mais celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux.
20Car, je vous le dis, si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez jamais dans le royaume des cieux.
21Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre ; celui qui commet un meurtre sera passible du jugement. 22Mais moi, je vous dis : Quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement. Celui qui traitera son frère de raka sera passible du sanhédrin. Celui qui le traitera de fou sera passible de la géhenne de feu. 23Si donc tu vas présenter ton offrande sur l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, 24laisse ton offrande là, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter ton offrande.25Arrange-toi vite avec ton adversaire, pendant que tu es encore en chemin avec lui, de peur que l'adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et que tu ne sois mis en prison. 26Amen, je te le dis, tu ne sortiras pas de là avant d'avoir payé jusqu'au dernier quadrant.

PRÉDICATION  Pasteur Robert Philipoussi
Chers amis, frères et sœurs, certaines paroles de Jésus, relatées dans les évangiles, sont perturbantes. Elles ont une énergie interne indéniable. Mais elles peuvent jeter le trouble.  Et c'est le propre d'une méditation personnelle ou en assemblée de sortir du trouble créé par ces paroles, mais d'en garder l'énergie- comme un filtre, quoi ,  pour ensuite en faire quelque chose de bien.
Peut-être n'avez vous pas été troublés du tout à la lecture, alors je vais vous rappeler de quoi il retourne.
  Ici, dans le texte du jour dans l'évangile de Matthieu, Jésus demande à ses disciples- et par ricochet, et potentiellement, à nous, bref,  à tous ceux qui voudraient entrer dans le royaume des cieux,  de surpasser les pharisiens. Le trouble est là ?  Notre justice ne pourra jamais dépasser celle des pharisiens ! Les pharisiens étaient des gens rigoureux. Ils étaient capables d'observer précisément la loi écrite, et la loi orale. Ils ne trahissaient  ni le plus grand ni le plus petit  des commandements. Ils étaient irréprochables.  Et nous? Regardons-nous. Ne sommes nous pas en permanence en train d’accommoder?  Nous avons des raisons. Les commandements bibliques sont nombreux, voire contradictoires. Il y aurait de la hiérarchie entre eux. Que faisons nous?  Nous fermons les yeux.  Ou les ouvrons par intermittence. Aimer son prochain, pourquoi pas, mais son lointain par exemple ? Vais-je considérer que celui qui attend, dans l'indifférence, sa pendaison dans la prison de  Saidnaya, à 30 kilomètres au nord de Damas, est un prochain à aimer? Vais-je au moins lire le rapport d'Amnesty international sur ce sujet ? Et bien d'autres exemples de notre intermittence dans le rapport que nous avons avec les commandements – si toutefois, en écoutant les évangiles, nous nous mettons dans la posture du disciple potentiel, venu écouter Jésus parce qu'il en avait entendu parler.
Oui je suis reprochable! Evidemment!  Je suis loin d'être aussi rigoureux qu'un pharisien...Alors, le surpasser !
Et Jésus indique dans notre texte du jour et les suivants dans Matthieu, indique comment faire, ce qui est, pour ce disciple potentiel venu là on ne sait pas pourquoi écouter Jésus, très perturbant. Et aussi, on ne sait pas pourquoi, enthousiasmant. Quand quelqu'un évoque quelque chose d'impossible, c'est vrai, ça fait rêver.
Jésus dit en substance que certes  nous sommes tous plus ou moins capables de ne pas commettre de meurtre. Mais il ajoute qui celui qui se met en colère contre son frère ou le traite de «raka» qui signifie «tête vide», est passible du même jugement.
Qui parmi nous n'a t il pas un jour dit de quelqu'un, ou même à quelqu'un  «  qu'il n'avait rien dans sa tête » ? Ou, qui, un jour, ne s'est il pas mis en colère contre quelqu'un? Et ainsi de suite: Jésus part des plus gros commandements, facile à ne pas enfreindre...au plus petit, qu'il faudrait aussi ne pas enfreindre sous peine de subir le même sort (la géhenne de feu, rien de moins). Petits commandements dont d'ailleurs on ne connait pas la source. Il semblerait qu'ils les inventent. Par exemple quand il passe de l'interdiction de l'adultère au fait même de regarder une femme.  Et il dit que c'est la même chose... Et ainsi de suite, pour tout. Encore un exemple. Il faudrait non seulement aimer son prochain, mais  aussi aimer ses ennemis (mais comment faire pour aimer justement ceux qu'on déteste...ou qui nous détestent...). C'est impossible!
Quelle mouche a piqué Jésus. Jésus était il aussi aussi radical?
Difficile de répondre à cette question sans une plongée didactique dans les strates diverses du «discours de Jésus» dans les évangiles, qui font apparaître énormément de nuances. Mais disons simplement, que oui, dans cette version du discours sur la montagne, Jésus est on ne peut plus radical. Et cette radicalité – tout de même plus subtile que certains autres discours radicaux – a enthousiasmé les foules.
Il semblerait quand même que Jésus, et le rédacteur de l'évangile  ait en ligne de mire les pharisiens, devant lesquels ils dévoilent une foultitude de petits commandements oubliés, qui empêcheraient donc, si on cherchait à ne pas les enfreindre, les petits accommodements. Mais le problème pour nous n'est pas là.  
Nous disciple potentiel venu écouter Jésus au travers du temps. C'est aussi notre problème. Nous sommes nous aussi confrontés à cette situation. Quand parfois nous ouvrons les yeux sur ce que nous faisons ou laissons faire -par lâcheté, par paresse, par inconscience vague – nous les refermons aussitôt car notre dépit pourrait nous submerger. Et nous retrouvons nos compagnons qui vaquent comme nous, les yeux fermés comme nous. Et la vie continue.
Face à la radicalité qui renvoie les gens dans un mur, malgré leur enthousiasme. Qui renvoie les gens, comme dit Jésus à  ce feu de la Géhenne, un feu qui pourrait aussi désigner les flammes d'une  culpabilité qui nous ronge. Face à ce que nous faisons, mais certainement à, je le répète, ce que nous laissons faire,  certains disciples répliquent , au chapitre 10 de l'évangile de Marc, par exemple:
« Mais alors, qui peut être sauvé ? » Et Jésus répond « Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »
Ce qui se devient la première bouffée d'oxygène de cette prédication  Mais c'est Paul dans ses lettres qui passera le masque à oxygène à tout le monde. C'est lui Paul qui développera, et avec quel talent et succès : la solution à ce problème.
Que je vous résume sommairement, comme une pause :
Les pharisiens pensent plaire à Dieu et être irréprochables en respectant l'ensemble des commandements prescrits par Dieu à Moïse, de façon écrite ou de façon orale. Jésus dit qu'ils avaient oublié une série de commandements dont le non respect envoie tout aussi bien à la mort.  Et nous? Et bien pour nous il n'y aucune solution. Soit on vit comme un hypocrite, les yeux grand fermés  soit on meurt rongé par la culpabilité ou le jugement de Dieu.
Voilà donc le problème. Que ne résout pas Jésus dans son sermon.
 La solution – rationnelle, absolument pas mystique a été -et surtout par Paul-  de convoquer la grâce de Dieu. Laquelle, comme son nom l'indique, n'est pas la déclaration que la peine est purgée. Mais une véritable grâce au moment de laquelle la justice de Dieu se transforme en littéralement en une non -justice.
Tu es coupable, et je te libère.
Je pense à cette personne, Jacqueline Sauvage, qui a tué son mari et qui a reçu la grâce présidentielle. Presque tout le monde disait alors: elle était une victime et que dès lors elle méritait  cette grâce. Aujourd'hui, on raconte qu'elle n'était pas une si belle victime que ça. Mais qu'importe. Elle a été graciée. Ce qu'il faut bien savoir sur la grâce, c'est qu'elle ne se mérite pas. Sinon, on passe à côté du message de Paul, mais aussi à côté de l'essence même du protestantisme.
L'apôtre Paul, et après lui St Augustin et bien entendu Luther, dont nous fêtons cette année le cinq centième anniversaire de sa réhabilitation de la grâce, mais aussi Calvin, mais aussi les Jansénistes, ont développé l'idée, et toujours contre une pensée majoritaire et obstinée, que la grâce de Dieu est la seule capable de nous sauver, non seulement du feu de la Géhenne, mais aussi, et ça parle un peu plus à nos oreilles contemporaines, de la destruction de notre psychisme devant l'immensité de la tâche à accomplir et la dévoration par la culpabilité. C'est ce que doit ressentir le disciple potentiel venu plein d'espoir écouter Jésus et qui se trouve perturbé par l'impossibilité d'accomplir ce qu'il préconise.
Voici ce que Luther a  un jour écrit à sa mère:
« Nuit et jour, j'ai regardé cette croix, jusqu'à réaliser la connexion entre la justice de Dieu et cette déclaration ‘Le juste vivra par la foi.’ Alors j'ai pu saisir que la justice de Dieu est cette droiture par laquelle Il nous justifie par la foi [en Christ], par le biais de la grâce et de la véritable pitié. Sur quoi je me suis senti comme né de nouveau et transporté, par les portes grandes ouvertes, jusque dans le paradis.
Mais.  Mais il y a un mais, et c'est ce «mais» qui sera l'envoi de cette prédication.

Mais alors, puisque c'est la grâce de Dieu qui me sauve, je n'ai plus besoin d'accomplir les commandements, même les plus essentiels?
Personne ne peut dire que la grâce de Dieu le sauve. Mais ce qu'il faut découvrir c'est que la grâce sauve. Et que ta vie est dans les mains de ton Dieu dont tu ne pourras tout de même pas, toi,  anticiper  les actes et la volonté. D'où la nécessité de bien entretenir ton moteur d'espérance. Mais tout de même, tu remarqueras que dans la société du mérite et de la récompense dans laquelle tu te trouves et que tu subis, avoir comme perspective la grâce déjà te sauve d'une pensée commune, la pensée de la mesure et du commerce et des bénéfices. Ta bénédiction, déjà, avec la perspective de la grâce, sera déjà effective. Dans un monde de mérites, toi, au fond, tu vivras de la grâce de ton Dieu.
Ensuite et enfin si tu te sens autorisé à  jeter par dessus ton épaule, à cause de la grâce, l'ensemble des commandements, n'oublie pas les paroles radicales de Jésus qui ont été lues aujourd'hui . Rappelle toi que cette grâce, si tu l'as reçue, et que tu en vis, et si vraiment elle te donne de l'oxygène et même une paix intérieure, tu  administreras la preuve qu'elle est en toi,  par le fait même d'ouvrir les yeux sur des commandements cachés, des commandements non prescrits, les commandements qui font que la vie ensemble peut être belle.  A toi de les découvrir, maintenant que tu es libre.  Tu découvriras là, sans que tu en soies obligé par un pouvoir quelconque qui t'intimerait de le faire, de quoi agir dans des territoires qui ne te concernent pas seulement toi. Et tu agiras par grâce, c'est à dire gratuitement.
AMEN.

 
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