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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

PREDICATION DU 16 OCTOBRE 2016 La veuve et le juge. Luc Chapitre 18



Luc 18
Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait point Dieu et qui n'avait d'égard pour personne.
Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait lui dire: Fais-moi justice de ma partie adverse.
Pendant longtemps il refusa. Mais ensuite il dit en lui-même: Quoique je ne craigne point Dieu et que je n'aie d'égard pour personne,
néanmoins, parce que cette veuve m'importune, je lui ferai justice, afin qu'elle ne vienne pas sans cesse me rompre la tête.
 
 
 
PREDICATION    Robert Philipoussi
Une parabole, sortie de son écrin. Une parabole toute nue. Pour qu'elle soit entendue comme les gens qui écoutait Jésus pouvait l'entendre.
Qu'est ce qu'on voit ?
On voit Un juge, c'est à dire un spécialiste de la loi, de la torah. Or qu'est ce que la torah, magnifiée dans les 10 commandements d'une part : des indications pour respecter Dieu et des indications pour respecter l'humain. Les deux étant inextricablement liées. Jésus lui même résume. Quels est le plus grand commandement ? Il y en a deux : aimer dieu, aimer son prochain comme soi même. inextricablement liés.
Or, ce juge ne respecte ni Dieu en langage biblique ne craint pas Dieu. Et ne respecte pas les humains.
Ce juge est donc un paradoxe vivant. Et il est étrange ce juge, parce que, je ne sais pas vous, mais moi, j'ai l'impression de le connaitre. Pas forcément sous la forme d'un juge. Mais de le connaitre. De connaitre quelqu'un qui comme lui, dans son paradoxe.
Et puis il y a une veuve. Et c'est étrange cette veuve, bien que je connaisse plus de "veuves" que de juges, je n'ai pas l'impression de la connaitre. Je n'ai pas l'impression de voir son visage. Vous me direz, c'est personnel. Mais je sais par ailleurs, que chez Luc, de nombreuses femmes, en général anonyme, surgissent. Disons pour l'instant que cette femme, dans une première impression, toute personnelle, bien sûr, a quelque chose de plus universel, que ce juge, plus singulier et donc parfaitement repérable.
Nous avons choisi de vous présenter le texte brut de cette parabole, afin de ne pas vous embrouiller, mais, quand vous retournerez chez vous tranquillement et relirez ce récit, vous vous apercevrez que le sens de cette parabole semble être donné d’emblée par l'introduction de LUC: il leur dit une parabole sur la nécessité de toujours prier, et de ne jamais se relâcher.
Pourquoi pas.
[D'après les études faites sur le temps d'attention, à ce moment précis de la prédication, j'arrive à une première phase d'abandon. Je vous dis donc, si jamais , frères et soeurs vous partez maintenant dans vos pensées - ce qui est normal et humain - retenez alors ça : la nécessité de toujours prier, et de ne jamais se relacher ! C'est pour cette impérieuse raison que nous avons décidé de créer ce moment de prière, tous les samedis à 17H !]
Alors oui, pour ceux qui sont restés, essayons de voir en quoi cette parabole pourrait nous parler de ce devrait être la prière.
D'après cette parabole, la prière c'est d'abord une revendication, une demande de réparation. Ce n’est pas d'abord ou exclusivement une méditation, c'est une action pour la justice.
C’est aussi une action répétitive, qui a moteur,la volonté farouche d’obtenir satisfaction.
Notre prière rituelle, le Notre Père est aussi une revendication, sur tous les points, en particulier le suivant : que ta volonté, comme elle l’est au ciel, s’accomplisse aussi sur la terre. Le bonheur dans le ciel ne suffit pas, la justice de Dieu doit se réaliser ici.
La prière part d’une sensation de déséquilibre et vient mettre la pression pour que la balance se remette en place. Et ici, le choix d'utiliser une "veuve" pour cette revendication est très clair
Comme le signale le livre du deutéronome : Veuves et orphelins avaient des droits
Tu ne porteras point atteinte au droit de l`étranger et de l`orphelin, et tu ne prendras point en gage le vêtement de la veuve.
La revendication de cette femme est donc légitime. Et ce qui est légitime doit triompher. Par le droit.
Petit excursus - hors de la problématique de cette veuve, pour dire que la prière dans la Bible cela peut encore aller plus loin.
Mais quand la situation est désespérée, la prière devient même un souhait de vengeance, comme le dit le psaume 94, qui est aussi une forme de prière violente : et normalement ce psaume va réveiller ceux qui peut être sont encore aller se promener dans leurs pensées. Mais attention, c'est un texte choquant. Mais il est biblique. Psaume 94.
1 Dieu des vengeances, Eternel, Dieu des vengeances, parais dans ta splendeur !
2 Lève-toi, juge de la terre, Rends la pareille aux orgueilleux !
3 Jusques à quand les méchants, Eternel, Jusques à quand les méchants triompheront-ils ?
4 Ils répandent à flots des propos arrogants, Ils se glorifient, eux tous, ouvriers d'iniquité.
5 Ils écrasent ton peuple, ô Eternel, Ils oppriment ton héritage ;
6 Ils tuent la veuve et l'étranger, Ils mettent à mort les orphelins,
7 Et ils disent : L'Eternel ne le voit pas, Le Dieu de Jacob n'y prend pas garde.
8 Prenez-y garde, hommes stupides du peuple ! Et vous, insensés, quand aurez-vous du sens ?
9 Celui qui a planté l'oreille, n'entendrait-il pas ? Celui qui a formé l'œil, ne verrait-il pas ?
10 Celui qui reprend les nations, ne punirait-il pas ? Lui qui donne aux hommes l'intelligence !
11 L'Eternel connaît les pensées des hommes,
[Il sait] qu'ils ne sont que fumée.
Notre veuve n'en est pas encore là, mais dans sa situation, ne pourrait-elle pas fulminer avec ce Psaume ? On ne sait pas. En tous les cas, elle, contrairement à l'auteur du Psaume, elle va finir par obtenir satisfaction, car elle crée dans la tête de ce juge la peur que cette même brave tête de spécialiste de la torah soit cassée par elle. Une autre traduction parlerait de lui mettre un oeil noir, un cocard !
Voilà la définition de la prière. Ce n’est pas que du sentiment, ce n’est pas que de la plainte plaintive, c’est un dépôt d’une plainte , et ce dépôt ne prend son sens qu’à travers une action de justice. La parabole est évidente. Pas de jargon. Tu pries, tu agis, sinon ta prière c’est du vent, et si ton action n’est pas liée à une légitimité universelle, comme l’action de cette femme juive est liée à l’universalité de la Tora, cette action n’a plus de sens. C'est un prototype de femme forte, cette veuve. Et elle nous apprend la persévérance et le respect de dieu et des humains.
Mais voilà, quand on parle de prière, on pense évidemment de prière à Dieu, et c'est là où l'interprétation régulière de cette parabole aboutit quand même à un problème, à savoir que si on file la métaphore on aboutit à Dieu comme ce juge épouvantable. Ce qui est, vous l'avouerez, génant.
Le rédacteur de l'évangile de Luc s'en est aperçu et vous vous en apercevrez aussi quand vous relirez ce récit chez vous, c'est pourquoi il a introduit dans la bouche de Jésus un commentaire appelé " a fortiori" que je vous résume ainsi : Si ce juge épouvantable rend la justice malgré son mépris de Dieu et des humains, à plus forte raison, Dieu. Pour ne pas embrouiller, je n'ai pas choisi ce passage dans la lecture, mais l'honneté intellectuelle me pousse à vous en faire part, mais pour dire à mon sens - qu'il s'agit là d'un témoignage de l'embarras qu'avait certains rédacteurs pour cadrer les paraboles reçues de Jésus qui sont toujours, toujours moins évidentes qu'on ne le croit. Car franchement, qui pourrait être convaincu par cet argument " fortiori" . Personne d'honnète avec soi même.
Il faut donc aller plus loin. Et se rendre compte des raisons qui font penser que cette femme a quelque chose d'universel. Ce n'est pas la première fois que le premier rédacteur de LUC, fait surgir des femmes qui sont en fait des représentations de la sagesse, figure féminine par excellence, et considérée dans certains textes de la littérature biblique, comme fille, oui, fille de Dieu. Co créatrice de monde. Certains textes de Luc quand on les détaille montrent même que Jésus est l'incarnation de cette sagesse, et on assiste même dans un texte magnifique de Luc, impliquant une femme surgissant au milieu d'un banquet, un transfert entre cette femme et Jésus, la femme repartant vacante, alors qu'elle surgissait dans ce banquet comme parole de Dieu.
Revenons à cette parabole brute, qui va prendre une autre direction que celle de cette désagréable correspondance entre ce juge et Dieu.
Dans cette deuxième voie d'interprétation, le sourd, ce serait nous. Moi ! C'est donc pour ça qu'il m'apparaissait familier. Que j'avais l'impression de le connaitre. Même son visage, je le voyais. Le juge, ce serait nous. Nous, les méfiants, les récalcitrants, fermement décidés à ce que rien ne change, fermement décidés à ce que l’utopique règne de Dieu reste une utopie.
Et cette veuve, qui vient lui casser la tête, ce n’est donc plus une veuve, c’est la parole de Dieu elle-même. La parole de légitimité qui a la volonté farouche de réveiller l’un de nos penchants, de briser le barrage qui maintenait une autre source d’énergie contenue en nous : l’énergie altruiste. Même si ça passe par la menace.
Et cette parole persistante, cet évangile qui ne se lassera jamais finira  bien par nous faire céder, nous faire admettre, de laisser passer la justice, finira par nous convaincre de la faire, cette justice, l’établir pour notre humanité.
Mais en conclusion, remarquons quelque chose : les deux hypothèses convergent. Dans les deux cas, que nous soyons juge ou veuve, faiseur de justice, ou plaignante, dans les deux cas, c’est une parole qui nous est adressée.
Si nous sommes le juge : devant nous, avec le visage de cette veuve, c'est la parole de Dieu qui nous pousse à la réparation de ce qui a été mal fait et qui finit par nous faire admettre notre responsabilité, qui nous pousse à saisir notre possibilité d’agir de façon juste qui nous invite à exercer notre pouvoir. Cette parole de Dieu vient nous menacer. Nous menacer, oui, de la réponse à cette question : est ce que j’ai fait ce que j’avais à faire et ce que je pouvais faire ?
Si nous sommes la veuve : c’est la parole de la justice contenue dans la Tora, qui nous pousse à aller frapper là où c’est possible, sans relâche, sans désespérer.
En tous les cas, le message est clair : la justice est la valeur centrale de la Bible. Bien au-delà de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, de la foi, de l’espérance ou même de l’amour.
Nous avons appris aujourd'hui que la prière a un lien direct avec le manque de justice.
Et que prier, c’est une action en justice, que ce soit la prière de l’homme ou celle de Dieu.
 
 
AMEN.
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