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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

PREDICATION DU 25 SEPTEMBRE 2016. Une invitation à combler les abîmes

La résurrection n'est pas un élément de catéchisme, c'est l'accomplissement de la morale chrétienne.



Lecture
Luc 16, 19-31 Il y avait un homme riche, qui était vêtu de pourpre et de fin lin, et qui faisait chaque jour de brillants festins16:20 Un pauvre, nommé Lazare, qui avait été jeté à sa porte, couvert d'ulcères,16:21 et désireux de se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche; mais c'étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses ulcères.16:22 Le pauvre mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d'Abraham. Le riche mourut aussi, et il fut enseveli.16:23 Dans le séjour des morts, il leva les yeux; et, tandis qu'il était en proie aux tourments, il vit de loin Abraham, et Lazare dans son sein.16:24 Il s'écria: Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, pour qu'il trempe le bout de son doigt dans l'eau et me rafraîchisse la langue; car je souffre cruellement dans cette flamme.16:25 Abraham répondit: Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et que Lazare a eu les maux pendant la sienne; maintenant il est ici consolé, et toi, tu souffres.16:26 D'ailleurs, il y a entre nous et vous un grand abîme, afin que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous, ou de là vers nous, ne puissent le faire16:27 Le riche dit: Je te prie donc, père Abraham, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père; car j'ai cinq frères.16:28 C'est pour qu'il leur atteste ces choses, afin qu'ils ne viennent pas aussi dans ce lieu de tourments.16:29 Abraham répondit: Ils ont Moïse et les prophètes; qu'ils les écoutent.16:30 Et il dit: Non, père Abraham, mais si quelqu'un des morts va vers eux, ils se repentiront.16:31 Et Abraham lui dit: S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader quand même quelqu'un des morts ressusciterait.

PRÉDICATION

 
UNE PARABOLE AVEC DES PERSONNAGES IMAGINAIRES MAIS CONNUS
 

Il s'agit aujourd'hui de ce qu'on appelle une parabole. Une petite histoire que Jésus racontait parce que Jésus aimait délivrer son enseignement sous la forme de petites histoires. Des petites histoires imaginaires. Construites avec des éléments que tout le monde connaissait. Végétaux, animaux, métiers, actions. Ou ici Abraham, ou un prénom usuel comme Lazare Eleazar " Dieu a secouru".
Même dans l'esprit de Jésus qui a pu raconter cette parabole transmise par l'évangile de Luc, et dans celui des gens qui écoutaient, ce n'était pas le vrai Abraham qui figurait dans cet histoire, ni une vraie personne du nom de Lazare.
Ici, l'Abraham et le Lazare sont des personnages imaginaires.

[On le fait nous aussi, dans des histoires drôles, c'est Georges Clooney, et Marcel Dupont qui entrent dans un bar. Ce n'est pas le "vrai" Georges Clooney. Parce que le vrai Georges Clooney est pédiatre urgentiste dans une clinique de Chicago, de même que le vrai Abraham est le plus grand des patriarches]
 

UTILISATION DES CROYANCES POPULAIRES
 

Bref, c'est une parabole. Règle de base, utiliser des éléments que tout le monde connait. Ici, une croyance populaire qui figure Abraham dans le rôle que tiendra St Pierre dans futur catholicisme populaire, celui qui accueille les gens au Paradis . Le paradis, une autre croyance populaire, mais très peu attestée dans la Bible. Cette parabole parle aussi de l'Hadès, le nom grec de l'enfer. Encore une notion très peu biblique, mais très très populaire.

Les croyances populaires ont repris le jardin d’Éden pour figurer le paradis, et pour figurer l'enfer, la géhenne, qui désigne un lieu, une sorte de dépotoir pestilentiel où se déroulait des cultes idolâtres et des infanticides à l'est de la vieille ville de Jérusalem.
 

CE QUE CROYAIENT LES HEBREUX DE LA VIE APRES LA MORT
 

Tout cela est assez éloigné des croyances officielles des hébreux . D'abord, ils croyaient que les morts allaient dans le shéol (le puits) pour simplement disparaitre. Ce que l’ecclésiaste, qui a donné son nom à un livre de sagesse de la Bible Hébraïque rappelle par cette sentence définitive :
Les vivants, en effet, savent qu'ils mourront; mais les morts ne savent rien, et il n'y a pour eux plus de salaire, puisque leur mémoire est oubliée.
Le prophète Esaie, aussi est très clair :
Ceux qui sont morts ne revivront pas, Des ombres ne se relèveront pas;
Puis dans ce domaine de la vie après la mort, la croyance a évolué. On note parfois que dans ce shéol, les morts ont commencé à s'ennuyer, mortellement dirions nous, mais l'ennui, c'est déjà un peu de vie. Puis, avec l'influence égyptienne et pharisienne, les morts dans ce shéol ont commencé à attendre, voire à espérer leur résurrection au jour du Seigneur.
Mais il n'était pas question de ce qu'on lit ici.
 

LA PARABOLE N'EST PAS ADRESSEE AUX PAUVRES MAIS AUX RICHES ET AUX SUFFISANTS EN GENERAL 
 

Une autre chose qu'il faut bien avoir en tête quand on aborde cette parabole, c'est que le contexte de Luc est une adresse de Jésus à des riches, justement. Des Publicains, comme on les appelait, dans lesquels se mêlent des pharisiens, c'est à dire des théologiens, qui eux cherchent comme toujours, à prendre Jésus en défaut.
Mais là c'était compliqué car les pharisiens ne supportaient pas spécialement les riches et les notables, en particuliers les sadducéens, les gardiens du Temple, qui étonnamment sont habillés de pourpre et de lin fin. Notons que cette mode purpurine s'est prolongée, longtemps, chez les ecclésiastiques de haut rang.
Donc cette parabole n'est pas là déjà pour consoler les pauvres. Cette parabole est adressée aux riches et en général aux "suffisants" comme peuvent être caractérisés les pharisiens dans les évangiles. Et comme le riche dans cette histoire est le seul qui n'a pas de nom, l' auditeur sans qu'il s'en aperçoive est poussé à s'identifier à lui. Difficile en effet de s'identifier à Abraham. Ou à un Monsieur qui s’appelle Lazare et qui est couvert d'ulcères.
 

LES TROIS EFFETS DE CETTE PARABOLE
 

Un premier effet qui met au réel de la condition humaine. Un deuxième qui rappele la morale basique que cette remise au réel est censée engendrer. Un troisième effet théologique qui rappele aux premiers communautés chrétiennes ce que signifiait vraiment la résurrection de leur Christ.

PREMIER EFFET :mise au réel
Que voyons nous dans cette histoire?
Nous voyons un riche qui fait des festins tous les jours, et qui meurt.
Et nous voyons un chien. Oui un chien. Jeté devant une porte, qui attend, comme un chien, que des "choses" et pas des miettes , des "choses", dit le texte, n'importe quoi, en fait, tombe de la table du riche. Un chien galeux et couvert d'ulcères, un chien qui vit avec d'autres chiens qui le lèchent comme le font les chiens entre eux.  Et il meurt, de même.
C'est le premier enseignement de la parabole. Un enseignement venu du plus profond de la sagesse biblique et qu'on peut illustrer en citant l’ecclésiaste encore une fois

Tout arrive également à tous; même sort pour le juste et pour le méchant, pour celui qui est bon et pur et pour celui qui est impur, pour celui qui fait des offrandes et celui qui n'en fait pas.

C'est ce qui devrait tout changer de nos attitudes individuelles et collectives : tous, nous mourrons, quoi que nous soyons ou prétendons être, quoi que nous fassions. La mort. Match nul pour tout le monde. Egalité parfaite.
Ce qui devrait tout changer et qui pourtant ne change jamais rien.
Des riches entendent cela. Et écoutent. Les pharisiens qui écoutent aussi sont ennuyés. En effet, si tout le monde meurt également, à quoi bon finalement s'enfermer dans toute cette réglementation religieuse ?
Mais le riche peut aussi se dire, à quoi bon ? Toute cette richesse ? Tous ces banquets. Toutes ces obligations liées au fait d'être riches et de ne pouvoir agir qu'en tant que riche ? En l’occurrence ici, Jésus leur dit qu'ils sont obligés de se gaver publiquement.
Mais que tu sois obligé de te gaver, ou que tu sois un chien galeux au milieu d'autres chiens, tu meurs.
Jésus dit aux riches qui l'écoutent que la maison de cette parabole est un miroir pour que le riche puisse se voir finalement assez proche du chien galeux car il va mourir aussi.
A partir de ce moment là, à partir du moment où Jésus a jeté ce chien couvert d'ulcère en plein milieu de ce banquet d'insouciants qui se gavent, la fête est finie. 

DEUXIEME EFFET : Ce n'était donc pas une histoire gentille, mais une invitation morale
Le second effet peut commencer. La phrase clé est ici celle que dit le personnage d'Abraham
D'ailleurs, il y a entre nous et vous un grand abîme.
Abraham dit qu'entre l'endroit où est désormais Lazare, et l'endroit où est désormais le riche il n'y a pas de passerelle.
Ce que Jésus tente de réveiller chez les auditeurs de cette histoire, c'est la conscience de la réalité présente, encore plus dure que cette histoire imaginaire car dans celle-ci au moins on se parle. Ce grand abîme infranchissable c'est celui, cher destinataire de la parabole, qui était entre ta vie de banquet et sa vie d'ulcères. Maintenant tu le sens. Et cette parabole te le dit.
Je t'en prie, dit le riche à Abraham, donne moi les miettes (dis à Lazare de tremper le bout de son doigt dans l'eau pour me rafraichir la langue).
Non.
Fais le ressusciter pour qu'il avertisse mes cinq frères.
Non.
Abîme infranchissable. Mais c'est toi qui l'as creusé. C'est toi, en fait, aujourd'hui, qui est impitoyable. C'est toi en fait, la figure de l'intransigeant qui est figuré par Abraham. C'est toi, cher destinataire de cette parabole qui sur cette terre des vivants tient le rôle de l'Abraham drapé dans sa cruauté de cette parabole.
Moise et les prophètes auraient du te suffire pour éviter de construire cet abîme. Un ressuscité ne servira à rien.
On dit que la Bible préfère les pauvres. Mais ce n'est pas pour une simple raison morale. C'est juste que Dieu préfère ceux qui voient mieux. Le pauvre voit le riche, le riche ne voit pas le pauvre. Il faut le mettre dans une parabole au milieu des tortures pour qu'enfin, il le voit.
Les riches dont le banquet a été interrompu par cette histoire angoissante et sans espoir sont conviés à ouvrir les yeux, à cesser de creuser cet abime et à le combler, à savourer la bienheureuse égalité des humains devant le fait, tout simple, de mourir.
Car là, chez les vivants, il n'est pas trop tard. Cette parabole est une histoire pour les vivants et donc une histoire de possible. C'était l'effet moral


TROISIEME EFFET : théologique
L'effet théologique est, comme toujours chez Luc pleine de finesse. N'oublions pas que l'évangile de Luc, comme tous les évangiles , a été composé dans l'esprit de la résurrection du Christ, et tout ce qui est écrit avant les récits de résurrection l'a été dans la bain de cette lumière là. Tous les récits sont la catéchèse de ce que les premiers croyants au Christ ont vécu comme l'événement qui les a pris de court, et les a transportés dans une liesse complètement folle.
Les destinataires, cette fois non pas de la parabole dite par Jésus de son vivant, mais les destinataires de l'évangile de Luc, sont invités, comme nous le sommes nous aussi, à s'étonner de cette affirmation : S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader quand même quelqu'un des morts ressusciterait.
Pourtant, du temps de la propagation de l'évangile de Luc, la résurrection devenait un objet de foi, un thème, un dogme peut être, voire une preuve de la véracité de ce qui s’appellera plus tard le christianisme. Mais, hélas, ce n'était peut être déjà plus un événement bouleversant, inattendu, surprenant, entrainant une liesse invraisemblable alors que personne ne l'a jamais vu ressusciter et qu'aucun récit ne raconte cette résurrection.
C'était devenu : il est ressuscité, ou, il a été ressuscité. Ce n'était plus : toute cette mort en moi a été vaincue, toute cette fatalité a fondu, toute l'emprise de la peur a disparu, toute cette joie contenue a été délivrée, tous ces abimes infranchissables ont été comblés.

Où est passée cette joie initiale ?

Luc rappelle donc le principe de base.
Premièrement : tu mourras.
Deuxièmement : devant ce fait égalitaire, met ta vie en conformité avec cette égalité et arrête de creuser des abimes entre toi et ton frère. Tu n'es pas mieux que lui. Il y a une vie possible avant ta mort.
Troisièmement : la résurrection n'est pas une preuve de quoique ce soit. Ce n'est pas un dogme, un état de fait. La croyance en la résurrection ne remplacera jamais les avertissements de Moise et les prophètes qui médités t'auraient permis de te voir toi en correspondance avec ce chien couvert d'ulcères, ou de voir ce chien couvert d'ulcères, et t'aurait permis de te soigner toi, et ton corps social. T'aurait permis d'éprouver la résurrection de ton Christ.

La résurrection de ton Christ, elle sera là, en plus. Tu n'en éprouveras la consistance qu'au moment où tu réaliseras que toutes les fatalités peuvent être vaincues, que tous les abimes réputés infranchissables peuvent être comblés.
AMEN.

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