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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

Voilà ce que l'évangile permet de faire ! Prédication du 30 avril au Vésinet et à Maison Fraternelle. Par Robert Philipoussi



Lecture : Luc 24, 13-35 
13 Or, ce même jour, deux d'entre eux se rendaient à un village du nom d'Emmaüs, à soixante stades de Jérusalem, 14 et ils s'entretenaient de tout ce qui s'était passé. 15 Pendant qu'ils s'entretenaient et débattaient, Jésus lui-même s'approcha et fit route avec eux. 16 Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. 17 Il leur dit : Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? Ils s'arrêtèrent, l'air sombre. 18 L'un d'eux, nommé Cléopas, lui répondit : Es-tu le seul qui, tout en séjournant à Jérusalem, ne sache pas ce qui s'y est produit ces jours-ci ? 19 — Quoi ? leur dit-il. Ils lui répondirent : Ce qui concerne Jésus le Nazaréen, qui était un prophète puissant en œuvre et en parole devant Dieu et devant tout le peuple, 20 comment nos grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour qu'il soit condamné à mort et l'ont crucifié. 21 Nous espérions que ce serait lui qui apporterait la rédemption à Israël, mais avec tout cela, c'est aujourd'hui le troisième jour depuis que ces événements se sont produits. 22 Il est vrai que quelques femmes d'entre nous nous ont stupéfiés ; elles se sont rendues de bon matin au tombeau et, 23 n'ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire qu'elles avaient eu une vision d'anges qui le disaient vivant. 24 Quelques-uns de ceux qui étaient avec nous sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses tout comme les femmes l'avaient dit ; mais lui, ils ne l'ont pas vu. 25 Alors il leur dit : Que vous êtes stupides ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes ! 26 Le Christ ne devait-il pas souffrir de la sorte pour entrer dans sa gloire ? 27 Et, commençant par Moïse et par tous les Prophètes, il leur fit l'interprétation de ce qui, dans toutes les Ecritures, le concernait. 28 Lorsqu'ils approchèrent du village où ils allaient, il parut vouloir aller plus loin. 29 Mais ils le pressèrent, en disant : Reste avec nous, car le soir approche, le jour est déjà sur son déclin. Il entra, pour demeurer avec eux. 30 Une fois installé à table avec eux, il prit le pain et prononça la bénédiction ; puis il le rompit et le leur donna. 31 Alors leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent ; mais il disparut de devant eux. 32 Et ils se dirent l'un à l'autre : Notre cœur ne brûlait-il pas en nous, lorsqu'il nous parlait en chemin et nous ouvrait le sens des Ecritures ? 33 Ils se levèrent à ce moment même, retournèrent à Jérusalem et trouvèrent assemblés les Onze et ceux qui étaient avec eux, 34 qui leur dirent : Le Seigneur s'est réellement réveillé, et il est apparu à Simon ! 35 Ils racontèrent ce qui leur était arrivé en chemin, et comment il s'était fait reconnaître d'eux en rompant le pain.

PRÉDICATION
Je vous invite à regarder ce qui se passe dans ce célèbre récit. Je vous invite  à regarder d'abord ce qu'il s'y passe en dehors de toute autre considérations, nominales, topographiques ou temporelles. Juste, d'abord, regarder ce qui se déroule, en dehors, des qui, des où, des quand, des pourquoi, des comment.
2 personnes qui se connaissent sont rencontrées par une troisième personne. Cette troisième personne est connue des deux premières personnes, mais celles-ci ne la reconnaissent pas.
Et c'est au moment où les deux personnes reconnaissent la troisième personne que celle ci disparaît à leurs yeux.
Dans cette structure, que voit-on.
On voit une tension, entre la connaissance (en l'occurence d'une personne) et la reconnaissance de cette même personne.
Ensuite on voit que la reconnaissance d'une personne coïncide avec l'impossibilité de voir cette même personne.
Connaissance + vision implique non reconnaissance.
Reconnaissance + connaissance implique non vision.
Dans cette structure on voit donc  qu'il est impossible d'allier connaissance, reconnaissance et vision.
Je sais que c'est un peu aride mais vous allez comprendre pourquoi je procède ainsi.

D'abord je m'appuie sur l'évangile de Luc. Or, en étudiant l'évangile de Luc on s'aperçoit que presque chaque péricope, histoire ayant un début et une fin, c'est à dire pouvant être isolée à fin de lecture, étude, sont pour beaucoup des histoires récapitulatives de l'ensemble de la geste évangélique. C'est à dire qu'en les approfondissant, on s'aperçoit qu'on peut y déployer une catéchèse complète. Qu'en gros, tous les éléments théologiques importants y figurent, et peuvent être corrélés à de nombreux autres textes ou histoires, pour en donner le sens profond.
On sait aussi, en étudiant Luc, que cet écrivain écrit presque toujours sur plusieurs plans : le premier anecdotique : une histoire racontée dont on peut se nourrir , ainsi par exemple dans le récit des pèlerins d’Emmaüs, chacun peut se mettre à la place des pèlerins et bénéficier de la catéchèse qui est littéralement fournie dans ce texte :
un prophète puissant en œuvre et en parole devant Dieu et devant tout le peuple ... comment nos grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour qu'il soit condamné à mort et l'ont crucifié.quelques femmes d'entre nous nous ont stupéfiés ... elles se sont rendues de bon matin au tombeau ...Comme votre cœur est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes !
C'est un plan. Littéral, intéressant, autour de la notion de prophète, pour s'apercevoir que ce prophète là avait une fonction messianique, et que c'est pour signifier cette fonction qui le distingue des autres prophètes, qu'il a été réveillé d'entre les morts.
Mais il y a un deuxième plan - qui n'exclut pas le premier – un deuxième plan, un peu plus profond qui s'adresse aux premiers croyants au Christ qui 50 ans après la mort de Jésus, reçoivent ce texte de Luc, c'est à dire, qu'ils le recoivent bien après l'histoire racontée dans ce texte . Ce sont des croyants d'une autre génération. Des gens pour qui, ces pèlerins d’Emmaüs sont au mieux des grands vieillards.
Ces croyants de la seconde générations, sont appelés à travers ce récit à comprendre que Jésus finalement était impossible à reconnaître quand ils marchait avec ses disciples. Sont appelés à saisir que de fait personne, durant le temps de son ministère, ne l'a véritablement reconnu.
Cette deuxième génération est appelée à concevoir qu'il fallait , qu'il disparaisse pour pouvoir être reconnu.
De la sorte, ces croyants de la deuxième génération, qui vivaient peut être encore dans l'espérance d'un retour de Jésus, dans l'espoir d'une nouvelle visibilité de leur Christ , sont appelés à comprendre que cette espoir là est vain, non pas vain dans le sens du désespoir, mais vain car inutile puisqu'il ne sert à rien d'espérer une nouvelle visibilité, quand le signe courant de leur foi, à savoir la fraction du pain est là pour leur assurer non seulement la connaissance profonde de celui qui est devenu la pierre d'angle de leur foi, non seulement sa reconnaissance en tant que sauveur et libérateur, mais en plus cette fraction du pain vient les assurer de sa présence, qui est plus qu'une présence spirituelle, mais qui est une présence en acte, l'acte de la fraction du pain, entre frère et sœurs qui eux aussi, de fait, se reconnaissent entre eux par cet acte.
Il n'est plus besoin de le voir . Car il est raconté encore une fois dans ce récit que le tombeau était vide, que les femmes ont stupéfié ceux qui les ont entendues, que celui n'était plus dans le tombeau et que donc il n'était plus visible, tout simplement.
Ressuscité implique sa disparition à la vue, sinon, il ne s'agirait que d'une guérison, spectaculaire, mais il ne s'agirait que d'un miracle de plus.
Luc, dans les actes des apôtres encore, va sur signifier l'importance de cette disparition en racontant l'événement de l’ascension pour bien dire qu'aujourd'hui, il ne s'agit plus de continuer à vouloir voir car cette option interdit la reconnaissance réelle et que c'est cette reconnaissance qui est nécessaire pour donner à cette insurrection spirituelle qu'est le christianisme naissant toute sa dimension.
Voilà donc le second message destiné à la deuxième génération des croyants aux Christ qui devaient enfin comprendre que désormais le christ se reconnaît dans la fraction fraternelle du pain.
Et ce message là est un parfait écho à un interdit majeur dans la Bible – l'interdit de la représentation du divin – qui est interdit non pas gratuitement, non pas uniquement par respect, par crainte , mais tout simplement parce que la représentation illusionne sur la connaissance et entrave donc la pleine reconnaissance. La représentation du divin entraine l'habitude et l'habitude est l'antidote d'une spiritualité vivante.
Les protestants réformés peuvent mettre des croix dans leurs édifices religieux, mais il n'y mettent pas la représentation de celui qui a été crucifié, pourquoi ? Parce qu'il se trouve qu'il a disparu à leurs yeux au moment où ils l'ont reconnu dans la fraction du pain.
Et oui, c'est cette disparition qui a permis son intégration dans notre vie, alors que représenté il serait resté, à part. Ce n'est pas de l'iconoclasme, c'est de la logique théologique de base. Et c'est là qu'on voit réellement que Luc est un théologien de choc.

Et il y a un troisième message destiné à chacun, qui offre à ceux qui veulent comprendre, un évangile qui n'est pas qu'une instruction de formules à connaître. Mais qu'il concerne l'ensemble de notre existence, dans ce qu'elle a de plus fondamental.
Quand des gens proches ou lointains meurent on dit qu'ils disparaissent. Disparitions. C'est le titre de la rubrique nécrologique dans certains journaux. Un jour je me suis étonné de cette façon de dire. De dire la mort. Les gens sont là. Et puis ils ont disparu. Ou même parfois, on les voit en train de disparaître. Disparition. Est ce une façon d'euphémiser ce qui se passe, de le rendre plus abordable ? Disparus. Du coup, où sont ils ? Ont ils été enlevés ? Y a t-il un espoir de les revoir ?
Et puis, en méditant, et aussi en méditant notre texte du jour, je me suis dit que c'était une bonne façon de dire, la mort, en parlant de disparition. D'autant plus que dans mon métier, je procède à des cérémonies qui parfois s'intitulent « culte de reconnaissance » , et très souvent je constate que cette reconnaissance, ne s'effectue réellement, n'ose peut-être se dire, parfois pleinement qu'après la disparition. On dirait que pendant tout le temps de la vie commune, la prétendue connaissance de l'autre dispensait de la reconnaissance. Non pas par absence de sentiment, mais comme un fait naturel. Mais quand cesse la possibilité de connaître, ou plus précisément quand on s'aperçoit, par le biais de sa disparition, que la personne qu'on côtoyait tous les jours, dans une forme d'habitude, était en fait une inconnue, alors la reconnaissance peut se déployer, et avec elle une forme de connaissance au travers des signes que cette personne aura pu laisser.
A ce moment là, cette personne connue de tous les jours, mais qui se révèle brusquement une inconnue, est reconnue, bien que disparue. Que s'est il passé ? Est ce une tragédie ? Non. Il s'est passé que cette personne s'est intégrée à nous. Que désormais elle est entrée dans notre communion. Et qu'elle est reconnue, même si on ne la voit plus. Nous n'avons pas besoin de la voir pour la connaître et la reconnaître. Evidemment, si nous aimions cette personne.
Ainsi, non seulement ce récit de Luc nous enseigne sur le véritable sens de la résurrection du Christ, mais nous éclaire sur le sens profond de toutes ces disparitions qui nous entourent.
Ce texte éclaire la mort.
Voilà ce que l'évangile permet de faire.
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