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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

"Adore celui qui te guérit de tes poisons"

Prédication de Robert Philipoussi. 11 mars 2018. Paris, Port Royal Maison Fraternelle.



Lecture du jour : Jean 3 14-21 :
14 »Et tout comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut aussi que le Fils de l'homme soit élevé
15 afin que quiconque croit en lui [ne périsse pas mais qu'il] ait la vie éternelle.
16 En effet, Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.
17 Dieu, en effet, n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18 Celui qui croit en lui n'est pas jugé, mais celui qui ne croit pas est déjà jugé parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
19 Et voici quel est ce jugement: la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leur manière d'agir était mauvaise.
20 En effet, toute personne qui fait le mal déteste la lumière, et elle ne vient pas à la lumière pour éviter que ses actes soient dévoilés.21 Mais celui qui agit conformément à la vérité vient à la lumière afin qu'il soit évident que ce qu'il a fait, il l'a fait en Dieu.» 
PRÉDICATION
 
Nous fréquentons beaucoup plus les serpents que nous le croyons généralement. Ce qui me fait dire cela, ce sont peut-être déjà toutes ces couleuvres qu'on avale. Ou alors c'est cette fameuse« vipère au poing » qui a terrorisé la génération de parents d'enfant de ma génération au point de les obliger à lire ce roman- histoire de voir à quoi ils ont échappés? Cette vipère, ma vipère, dûment étranglée, mais surtout renaissante, je la brandis encore et je la brandirai toujours - je pense aussi à gros-câlin, le python moins connu de M. Cousin, un personnage de Romain Garry et puis évidemment, il y a tous ces fameux serpents qui sifflent sur nos têtes.
Ce sont aussi ces ruelles qui serpentent dans les villages cévenols. Ce sont bien entendu tous ces maffieux et leurs tatouages de cobras, et même sans tatouage qui sont parfois des serpents déguisés en être humain. Aux cerveaux vraiment reptiliens. Ce sont aussi tiens, tous ces films de jungle où inévitablement l’héroïne va tomber au milieu d' un boa constrictor. Et puis, évidemment, c'est le serpent de toutes nos enfances, l'ineffable python Kaa du livre de la jungle version Disney, la référence de tout prédicateur malhonnête : « aie confiance ». Ce serpent descend d'ailleurs en droite ligne d'une certaine compréhension du serpent le plus connu de tous : le serpent de la Genèse
Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs, que l'Éternel Dieu avait faits. Il dit à la femme: Dieu a-t-il réellement dit: Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin?3.2 La femme répondit au serpent: Nous mangeons du fruit des arbres du jardin.3.3Mais quant au fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n'en mangerez point et vous n'y toucherez point, de peur que vous ne mouriez.3.4 Alors le serpent dit à la femme: Vous ne mourrez point;3.5mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.
Notre imaginaire est donc bien rempli de serpents, alors, que, des serpents, nous n'en voyons que très peu, dans nos contrées, et de nos yeux. Quelques lézards, peut-être, quelques salamandres, parfois, les nuits d'été, dans le sud de la France, mais ce ne sont pas des serpents.
Mais ils sont là. Tous ces serpents. Tous ces vrais serpents.
Et aujourd'hui, dans notre texte du jour, il y en un. Dans notre texte du jour, le Fils de l'homme (pour l'évangéliste Jean il s'agit du Christ qui parle de lui-même) , est mis en parallèle par l'évangéliste avec un serpent.
Et tout comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut aussi que le Fils de l'homme soit élevé.
Vous vous doutez que ce n'est pas qu'une simple question d'élévation de quelque chose qui pousse l'évangéliste à établir ce parallélisme. C'est sans doute qu'il y auarit un rapport entre le serpent de Moïse et le Christ. Nous allons donc explorer cette question et voir où ça nous mène.
Je vais lire cette cette courte histoire du livre des Nombres – une histoire que tout le monde qui a fait un jour du catéchisme est censé connaître. Nombres, chapitre 21, verset 4 à 9.
Ils partirent de la montagne de Hor par le chemin de la mer Rouge, pour contourner le pays d'Édom. Le peuple s'impatienta en route,21.5et parla contre Dieu et contre Moïse: Pourquoi nous avez-vous fait monter hors d'Égypte, pour que nous mourions dans le désert? car il n'y a point de pain, et il n'y a point d'eau, et notre âme est dégoûtée de cette misérable nourriture.21.6Alors l'Éternel envoya contre le peuple des serpents brûlants; ils mordirent le peuple, et il mourut beaucoup de gens en Israël.21.7 Le peuple vint à Moïse, et dit: Nous avons péché, car nous avons parlé contre l'Éternel et contre toi. Prie l'Éternel, afin qu'il éloigne de nous ces serpents. Moïse pria pour le peuple.
21.8 L'Éternel dit à Moïse: Fais-toi un serpent brûlant, et place-le sur une perche; quiconque aura été mordu, et le regardera, conservera la vie.21.9Moïse fit un serpent d'airain, et le plaça sur une perche; et quiconque avait été mordu par un serpent, et regardait le serpent d'airain, conservait la vie.

Alors donc, voilà un peuple dégouté et qui perd confiance. Un peuple qui se fait mordre par des serpents venimeux qui rodent. Et puis, un serpent de bronze, qu'il suffit de regarder, pour guérir de tout ce venin. Pour conserver sa vie.
A ce moment-là, quelqu'un de rusé... de rusé comme un serpent comme Jésus invite ses disciples à l'être dans un autre évangile, celui de Matthieu, quelqu'un de rusé donc peut commencer à comprendre le sens de ce parallélisme.
Le serpent de la Genèse est celui qui convainc l'humain d'acquérir l'intelligence en échange de la perte de la vie éternelle... Vous ne le voyiez pas ainsi ? Vous croyiez encore que c'était le diable qui attaquait la faiblesse morale et sensuelle d'Eve ? Pas du tout. Le serpent de la genèse n'a jamais été « le diable », et s'il provoque quelque chose de grave , en effet «  la perte de l'insouciance, de l'inconscience de la nudité », il ne fait que faire atterrir l'humain sur la terre ferme. Il les fait sortir, nos deux tourtereaux, de leur enfance. C'est le moment – ah oui peut-être terrifiant – pour eux de se rendre compte que la vie est non seulement dure, mais qu'elle est limitée, qu'elle fait mal. Aucun péché, et a fortiori originel, là dedans, mais une chute oui, une chute vertigineuse dans la vie réelle et de fait plus du tout éternelle, avec les yeux grands ouverts, sur ce qui est mauvais, sur ce qui est bon.
La vie est dure, en effet. Il y a de quoi être dégoûté. Telle est le ressenti du peuple. Libéré de la servitude d'Egypte, certes, mais finalement engoncé dans un désert sans fin, ou même pourrait-on dire, sans finalité. Et puis quand on perd confiance, c'est bien connu, les défenses immunitaires tombent, et les serpents brûlants attaquent. C'est l'adolescence du peuple qui est racontée dans ce livre des Nombres et dans d'autres livres. Le temps où l'on est dégoûté. Mélancolique. Dépressif. Le temps de tous les dangers. Il est donc raconté que Moïse réinvente le serpent de la genèse. Il n'est plus aussi mouvant et tortueux que le serpent de la genèse ou du livre de la jungle. Il est en bronze. Il suffit de le regarder pour cesser de souffrir. Pour être débarrassé de tous les venins du monde. Après être sorti de l'enfance, il s'agit de trouver un repère pour sortir de cette adolescence là.
L'écrivain Jean compare ce serpent au Fils. Ce fils qu'il s'agit de regarder, pour se sortir de la nasse des serpents. C'est un appel à l'adoration. Regarder vraiment c'est contempler et contempler c'est adorer. Adore, celui qui te guérit de tes poisons, semble suggérer l'évangéliste Jean.
Adore le. Il brille. Il est une lumière dans tes ténèbres.
Non, ce n'est pas une idole de plus. De la même façon les orthodoxes n’idolâtrent pas les icônes qu'ils peignent ou qu'ils contemplent. Ils regardent, ils contemplent, ils adorent l'au-delà de l'image, ils contemplent ce de quoi l'image est signe. La beauté, la guérison, du Dieu qui vit au delà d'une image mais qui pour nous, offre le truchement d'une image, d'un signe, d'un mot.
L'évangile de Jean nous offre déjà le début de la fin des conséquences de la décision de la femme d'offrir à l'humanité l'intelligence, mais du coup, de recevoir la capacité de percevoir o combien cette vie humaine est dangereuse, et infestée de poisons. Eve en payera un prix très cher. Un de ses enfants tuera l'autre, et la suite de cette histoire, sera très douloureuse, douleur toutefois tempérée par les annonces de certains prophètes à propos de ce jour du Seigneur qui un jour se lèvera, comme ce bénéfique serpent.
Le Fils de l'homme, semble dire l'évangéliste, élevé sur une croix comme le serpent de Moïse, si tu le regardes, il t'immunisera contre les autres serpents qui brûlent.
Nul doute que les premiers croyants au Christ, ont bien saisi le message caché. Ils ont bien compris qu'il y a le serpent guérisseur -que nos anciens connaissaient , représentez vous le caducée, symbole de la médecine et de la pharmacie depuis l'antiquité, et il y a des serpents tueurs. Ils se ressemblent. Le Christ est le serpent guérisseur. Guérisseur de leur doutes, de leurs errances, à ces premiers croyants quelques générations après Pâques et de tous les poisons qui les menaçaient. Celui, en particulier, de la division. L’évangéliste Jean insistera beaucoup, par ailleurs, sur la nécessité de l'unité.
Mais il faut remonter plus haut et s'apercevoir que ce nouveau serpent, guérisseur, fait encore plus que guérir l fait mieux, il abat la conséquence ultime de la provocation du serpent de la genèse : la perte de la vie éternelle.
il faut aussi que le Fils de l'homme soit élevé
15 afin que quiconque croit en lui [ne périsse pas mais qu'il] ait la vie éternelle.

Le nouveau serpent retrouve sa place dans l'imaginaire de ces peuples orientaux, celui de la fécondité, c'est-à-dire de la perpétuation de la vie.
Mais cette vie éternelle dont parle Jean est encore différente d'une simple perpétuation. Cette vie éternelle, c'est à dire cette vie pleine que nous recevons quand nous contemplons le Fils, c'est à dire quand nous réalisons la Passion de Dieu pour nous.
Nous n'étions pas que des expulsés du Jardin. Que des exilés. Nous n'étions pas que des soumis à la finitude de nos proches et de nous-mêmes. Nous n'étions pas que des peaux destinées à être infestées de tous les poisons de la réalité de ce monde. Nous étions aimés de Dieu. Nous sommes dans son amour. Nous sommes dans la vie éternelle. Il n'y a plus aucune raison d'avoir peur, et notre regard sur le monde peut changer.
Et ce magnifique texte de Jean nous enlève un dernier poids, celui qui pesait encore sur nous. Le poids du jugement. Le poids de ce Dieu conçu depuis si longtemps comme un juge impitoyable. C'était une erreur, une rumeur, une médisance qui a été colportée pendant des siècles et des siècles et qui a abîmé bien des âmes.
Dieu, en effet, n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
Tout devient clair. Tu n'es plus écrasé, semble dire l'évangéliste Jean, par ce que tu croyais être une malédiction sur toi, sur l'humanité, sur le monde.
Tu n'as plus à craindre les poisons. L'évangile, à condition que tu en saisisses la beauté, que tu ne le transformes pas en formule, en éléments de marketing. L'évangile, la bonne nouvelle, t'immunise des poisons de ce monde qui n'est désormais plus ton lieu d'errance et de dégoût.
Tu peux désormais manger du fruit de l'arbre de vie et aussi du fruit de l'arbre de l'intelligence. Tu peux désormais manger les fruits de tous les arbres du jardin.
A toi de faire briller ta lumière au milieu des ténèbres, car sache le, ces ténèbres ne sont pas éternelles.
La vie de Dieu est, elle, éternelle. Et elle te comprend.
AMEN
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