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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

NON À UNE ÉGLISE FOSSILE !

Prédication du 16 septembre 2018, par Robert Phiipoussi



Jacques 2.14-18
14 Mes frères, à quoi servirait-il que quelqu'un dise avoir de la foi, s'il n'a pas d'œuvres ? La foi pourrait-elle le sauver ? 15 Si un frère ou une sœur n'avaient pas de quoi se vêtir et manquaient de la nourriture de chaque jour, 16 et que l'un de vous leur dise : « Allez en paix, tenez-vous au chaud et mangez à votre faim ! » sans leur donner ce qui est nécessaire au corps, à quoi cela servirait-il ? 17 Il en est ainsi de la foi : si elle n'a pas d'œuvres, elle est morte en elle-même. 18 Mais quelqu'un dira : Toi, tu as de la foi ; moi, j'ai des œuvres. Montre-moi ta foi en dehors des œuvres ; moi, par mes œuvres, je te montrerai la foi.



PRÉDICATION

Nous continuons tranquillement notre lecture de la lettre de Jacques- une lettre circulaire qu'un membre éminent et cultivé de l'Église de Jérusalem de la fin du 1er siècle semble avoir envoyé à tout un monde judéo chrétien. Une lettre fort fort intéressante à lire entièrement et d'un trait. Pour en éprouver la cohérence et aussi pour commencer à cesser d'avoir une théo-logie en morceaux. Je m'explique : il est intéressant de se confronter à la cohérence d'un auteur quand soi on commence à ressentir le besoin d'avoir une pensée de Dieu et de son rapport à ce Dieu qui ne soient plus complètement éclatée avec tous ces versets rencontrés au petit bonheur la chance, ou ces idées reçues ou ces slogans qui nous sont tombés dessus, ou ces paroles fragmentaires reçues à la volée par un prédicateur. La Bible n'est pas une pochette surprise remplie de versets à tirer au hasard... le geste est parfois éclairant, mais à long terme, cela nous autorise à ne jamais nous confronter à rien d'autre qu'à notre propre humeur , sans jamais aller éprouver la cohérence d'un autre, d'un auteur, par exemple d'un auteur biblique qui tente d'articuler une pensée . De la sorte, on ne prend pas conscience que nous même pourrions nous fabriquer une pensée dans ce domaine. Alors du coup, on se tait. Pas par modestie ou esprit de discrétion, comme on le prétend souvent , mais à cause d'un flou plus ou moins entretenu...et si d'aventure quelqu'un vient vous chercher dans ce flou en disant, « quoi ? Pourquoi ? Comment ? » n'avoir plus d'autre façon de de répondre  que «  c'est personnel » ou « c'est intime ». Ce qui est très loin de l'attitude préconisée au chrétien de devoir répondrede sa foi. Soyez toujours prêts à rendre compte de l'espérance qui est en vous » (1P 3,16). Non, c'est juste qu'il semble être normal de ne plus devoir articuler une pensée autour de ce qui est censé être « aimé de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force ..et de toute sa pensée ». Ce qui permet entre autres à tous les manipulateurs sectaires de tout poil à s'en donner à cœur joie à coup de slogans.

Alors on peut très bien ne pas être d'accord avec ce que dit ce Jacques, mais si on se met à le lire, on va lui reconnaître une chose : il est cohérent. Cohérent par exemple dans sa façon radicale de fustiger l'adoration de l'argent, dans sa colère contre l'injustice,«  Le salaire dont vous avez frustré les ouvriers qui ont moissonné vos champs, le voici qui crie, et les clameurs des moissonneurs sont parvenues aux oreilles du Seigneur de l’univers ». Sans doute considérait-il l'Église du Christ comme une vecteur de la justice de Dieu Lisez le, c'est juste 5 chapitres... Et puis Jacques est cohérent aussi et c'est notre texte du jour, dans sa manière de moquer un certain idéalisme chrétien qui consisterait à dire que « croire » c'est à dire reconnaître le salut de Dieu, ça suffirait pour être sauvé – ce qui a conduit 15 siècles plus tard Martin Luther à mépriser cette lettre de Jacques, parce que ce que disait Jacques venait embarrasser sa découverte du salut par la foi. 

– Sola Fide, la foi seule ? Ben non dirait Jacques. La foi, la confiance, la reconnaissance, n'est qu'une énergie motrice qui est censée se transformer en quelque chose de concret et pas rester à flotter sur notre tête comme une auréole. Le concret, ce serait déjà faire œuvre de témoignage, mais plus important encore ce serait produire du bien, du beau, du mieux, du nouveau... Sans cette productivité pour Jacques, la foi c'est rien. (regarde sa montre) 

X minutes environ de cette prédication sont déjà passées. L'introduction est faite. Mais...  une des intentions de cette introduction aura été que vous puissiez peut-être vous dire. Oui d'accord. OK. Mais en fait, c'est évident, tout ça. Oui oui, si la foi n'a aucun effet, y compris sur soi-même -ne serait ce qu'être légèrement plus heureux...c'est nul. Et le couplet sur les bons chrétiens, les soit disants, qui ne font pas ce qu'ils sont censés faire, ce couplet, on l'a déjà souvent entendu. Ce qui dit Jacques ne m'étonne pas. Le pasteur a eu beau tenté d'habiller la pensée de Jacques de la meilleure façon qu'il a pu...je persiste à penser que.. juste...c'est évident. J'attends donc la suite... Mais jusqu'ici je ne suis pas tellement submergé par la nouveauté de ce commentaire pour aujourd'hui.

Chers amis qui auraient pensé cela, en fait je suis d'accord avec vous, mais je voudrais vous apporter une nuance de taille. D'abord, le christianisme sur cette petite planète est fort probablement la religion qui accomplit le plus d'oeuvres. Chaque église, même minuscule, est un service social qui parfois s'ignore même comme tel. Au minimum, une église accomplit l'oeuvre de permettre à certains de ne pas sombrer dans leur isolement chronique ou accidentel. Et bien sûr, il y a ces myriades d'institutions régionales, nationales, transnationales d'obédience chrétienne qui œuvrent dans des domaines extrêmement différents . Les œuvres sont toujours là, et leurs bénéficiaires aussi. Le christianisme, sur toute la planète, agit. Donc oui on pourrait répondre à Jacques regarde, peut être que dans ton antiquité tu devais batailler pour sortir le christianisme de sa gangue de philosophie idéaliste et immatérielle mais aujourd'hui, c'est bon. Le christianisme est devenu une gigantesque œuvre dans le monde. 

Mais voilà., frères et sœurs, La foi, elle, cette conscience de Dieu avec nous, cette confiance en lui et aussi dans la valeur de notre existence, cette espérance d'un avenir pour le monde et aussi pour nous-même...cette foi là disparaît. Elle disparaît dans des générations qui n'ont plus aucune des références anciennes, et qui ont quitté cette Eglise à laquelle ils n'ont finalement jamais eu conscience d'appartenir. Mais elle disparaît aussi et c'est plus pernicieux, dans les esprits de ceux et celles pour qui l'Eglise c'est encore important. Mais là, je viens vous rassurer. Ce n'est pas la foi qui disparaît, c'est bien notre capacité à articuler un discours sur elle qui disparaît, tout simplement parce qu'il est devenu normal de ne plus s'abreuver à la source des textes, qu'il est devenu normal, en étant chrétien, de ne plus avoir aucune notion de l'origine, de l'histoire et de la pensée du mouvement chrétien, qu'il n'est plus trop bien accepté dans le monde ambiant d'être un peu subtil, qu'il est devenu normal de ne plus considérer qu'il y a de la logique y compris dans ce qui est théo-logique... 

Et qu'il semble devenu normal que tout semble devoir s'enrober d'un flou sentimental, intimiste, « personnel »., subjectif... 

En fait, la logique de Jacques, ce n'est pas de dire les œuvres c'est l'essentiel et le reste c'est pas grave... Jacques ne dit pas : ne réfléchissez pas, ne pensez à rien mais agissez– et tout le christianisme ambiant y compris protestant, y compris évangélique semble participer de ce commandement béat...Comme si le discours articulé, la cohérence profonde, la conscience de la source tout cela deviendrait secondaire. L'acte comme valeur suprême , et au mieux des lieux communs et des slogans, et beaucoup de flou pour tout justifier. Et c'est une catastrophe, et pas que dans le domaine de la foi et de la religion. Pour prendre Jacques à contre pieds, les œuvres, sans la foi, ce n'est pas que c'est nul, c'est juste que c'est mort. Sans « la foi », les actes ne se réfléchissent plus, ne bougent plus, ça migrent plus, n'évoluent plus. Sans la foi les actes s'adorent eux mêmes et il n'y a plus aucune critique de quoi que ce soit. Donc lisez Jacques, ou n'importe quel auteur avec une cohérence et faites vous une pensée théologique. 

En faisant cette prédication, j'ai pensé à Dieu. À vrai dire, je pense souvent à lui. Pour moi, il n'est pas une idée ou un concept, et je ne suis pas certain qu'il soit si mystérieux qu'on le dit... Je pensais à mon Dieu, à notre Dieu et je me disais que, sans les œuvres qu'on lui reconnaît personne ne s’intéresserait à lui .S'il n'était que Dieu, sans ses bénédictions, sans ses signes ou ces miracles, sans effet donc, sans œuvre de Dieu, il ne serait rien.

Mais... s'il n'était que ça, s'il n'était qu'un faiseur, s'il n'était pas aussi une conscience de lui-même, voire une personnalité, s'il n'était pas une volonté, une logique, s'il n'était pas une personne...même ses plus beaux actes, ses plus belles œuvres, devenant anonymes ou hasardeuses et qu'on ne sentirait plus reliées à rien, n'auraient plus grand intérêt.

Je n'ai pas grand chose à faire d'un fossile de coquillage, même très beau, une véritable œuvre d'art sans doute, trouvé au milieu d'un désert où autrefois il y avait une mer. AMEN

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