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Les protestants des 13e et 5e arrondissements de Paris. Temple de Port Royal & Maison Fraternelle

" Il suit ses moutons toute la journée" , culte du 11 mai 2025

Prédicatrice S.J.



LA PRÉDICATION

Textes bibliques

Jean 10 27 - 30

27 Mes brebis entendent ma voix; je les connais, et elles me suivent.

28 Je leur donne la vie éternelle; et elles ne périront jamais, et personne ne les ravira de ma main.

29 Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous; et personne ne peut les ravir de la main de mon Père.

30 Moi et le Père nous sommes un.

Apocalypse 7: 9-17

9 Après cela, je regardai, et voici, il y avait une grande foule, que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, et de toute langue. Ils se tenaient devant le trône et devant l'agneau, revêtus de robes blanches, et des palmes dans leurs mains.

10 Et ils criaient d'une voix forte, en disant: Le salut est à notre Dieu qui est assis sur le trône, et à l'agneau.

11 Et tous les anges se tenaient autour du trône et des vieillards et des quatre êtres vivants; et ils se prosternèrent sur leur face devant le trône, et ils adorèrent Dieu,

12 en disant: Amen! La louange, la gloire, la sagesse, l'action de grâces, l'honneur, la puissance, et la force, soient à notre Dieu, aux siècles des siècles! Amen!

13 Et l'un des vieillards prit la parole et me dit: Ceux qui sont revêtus de robes blanches, qui sont-ils, et d'où sont-ils venus?

14 Je lui dis: Mon seigneur, tu le sais. Et il me dit: Ce sont ceux qui viennent de la grande tribulation; ils ont lavé leurs robes, et ils les ont blanchies dans le sang de l'agneau.

15 C'est pour cela qu'ils sont devant le trône de Dieu, et le servent jour et nuit dans son temple. Celui qui est assis sur le trône dressera sa tente sur eux;

16 ils n'auront plus faim, ils n'auront plus soif, et le soleil ne les frappera point, ni aucune chaleur.

17 Car l'agneau qui est au milieu du trône les paîtra et les conduira aux sources des eaux de la vie, et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux.

Utilisé pour la liturgie: Ésaïe 49 8-16

8 Ainsi parle l'Éternel: Au temps de la grâce je t'exaucerai, Et au jour du salut je te secourrai; Je te garderai, et je t'établirai pour traiter alliance avec le peuple, Pour relever le pays, Et pour distribuer les héritages désolés;

9 Pour dire aux captifs: Sortez! Et à ceux qui sont dans les ténèbres: Paraissez! Ils paîtront sur les chemins, Et ils trouveront des pâturages sur tous les coteaux.

10 Ils n'auront pas faim et ils n'auront pas soif; Le mirage et le soleil ne les feront point souffrir; Car celui qui a pitié d'eux sera leur guide, Et il les conduira vers des sources d'eaux.

11 Je changerai toutes mes montagnes en chemins, Et mes routes seront frayées.

12 Les voici, ils viennent de loin, Les uns du septentrion et de l'occident, Les autres du pays de Sinim.

13 Cieux, réjouissez-vous! Terre, sois dans l'allégresse! Montagnes, éclatez en cris de joie! Car l'Éternel console son peuple, Il a pitié de ses malheureux.

14 Sion disait: L'Éternel m'abandonne, Le Seigneur m'oublie! -

15 Une femme oublie-t-elle l'enfant qu'elle allaite? N'a-t-elle pas pitié du fruit de ses entrailles? Quand elle l'oublierait, Moi je ne t'oublierai point.

16 Voici, je t'ai gravée sur mes mains; Tes murs sont toujours devant mes yeux.


 

 

 

Poèmes de William Blake : The Lamb, The Shepherd

          

LA PRÉDICATION, par S.J.

 

Dans ces textes, la bible parle du peuple, de Dieu, bien sûr, et de salut. Mais vous avez remarqué : On parle énormément de pâturages et surtout, d’agneaux, de troupeau d’agneau, d’agneau de Dieu assis sur un trône, bref on parle de moutons.

Ils sont tous des moutons. Les autres bien sûr - pas nous. Qui est-ce qui pense parmi vous qu’il est un mouton? Qu’il ou elle lève la main!

Ce n’est sans doute pas l’animal le plus fort ni le plus intelligent… Le mouton, aujourd'hui, est le symbole par excellence du conformisme, de celui qui suit sans réfléchir, qui n’ose rien faire sans le groupe ; et cette phrase est souvent dite par une personne qui se sait unique, quelqu’un qui pense pour lui-même, qui est indépendant, responsable et singulier.  Quelqu’un qui ne suit pas stupidement le troupeau. Ce mot est devenu tellement négatif que je soupçonne que Louis Segond et d’autres traducteurs français de la bible l’ont transformé en “brebis” dans le texte de Jean que nous venons de lire pour cette raison-là. Le grec original dit bien “les moutons”, le neutre au pluriel. 

Alors faisons un petit retour en arrière : Il est intéressant de voir que, au contraire de notre perception moderne, le mouton est en effet très positif dans les écrits bibliques. C’est un des animaux (et aussi un symbole) le plus courant dans la bible, et le mot est rarement ou jamais utilisé de façon péjorative - je n’en ai personnellement pas trouvé d’exemple. Je parie que si je vous demandais encore de lever la main pour donner des exemples de moutons dans la bible on en aura pour un bon petit moment. Je ne vais donc pas jouer au prof avec vous aujourd’hui, mais je suis sûre que chacun parmi vous a déjà deux ou trois exemples en tête, à part les textes très connus que nous venons de lire. Quand j’étais jeune, le premier psaume que tout enfant apprenait était le Psaume 23 - Le Seigneur est mon Berger, je ne manque de rien. Je pense que bon nombre d'entre vous qui avez peut-être fréquenté l’école biblique saurait le réciter encore aujourd’hui. 

Mais je ne vais pas me pencher sur la question de pourquoi et comment le mouton s’est transformé pour devenir si négatif pour nous. L’agneau est mignon et la brebis pastorale. Pas le mouton. Et c’est comme cela. Je vais plutôt essayer de me demander, avec l’aide d’un poète anglais de la fin du XVIIIème siècle, William Blake, que j’aime beaucoup et dont j’enseigne les poèmes en ce moment au lycée, pourquoi ne pas essayer de ressembler plus au mouton.  Vous trouverez deux poèmes de William Blake sur la feuille de culte, comme il les a publiés. Vous noterez que l’image et les paroles font un ensemble - il était graveur avant d’être poète, et concevait ses paroles comme faisant partie de l’illustration. Je ne les ai pas traduits, car je n’ai pas trouvé de traduction satisfaisante et je le ferai à l’oral en temps voulu. 

Commençons par regarder de plus près le texte très court de Jean. Il est question de la relation entre le berger et ses moutons, et c’est Jésus, le bon berger, qui parle. Comme dans un poème, chaque mot, et la place de chaque mot, sont importants ; et l’apparente simplicité du propos peut être trompeuse. 

Il y a une égalité remarquable et tout à fait radicale créée par ses mots entre le berger et son troupeau. Jésus commence son affirmation avec le sujet, mes brebis. Ce sont elles qui sont importantes et elles sont actives (grammaticalement mais aussi physiquement - loin du troupeau passif de l’imaginaire collectif). Vous remarquerez aussi comment le texte alterne entre “elles” et “je” : 

Mes brebis entendent ma voix; je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle; et elles ne périront jamais […]

Les brebis et le berger sont mis sur le même plan dans la phrase, et chacun a sa place et son action bien définies, et chacun a la même importance.

Aussi, il n’y a dans la situation décrite aucune forme de contrainte, et aucun ordre n’est donné. Je trouve même formidable comment Jésus refuse tout lien de causalité entre les verbes “entendre”, “connaître” et “suivre”. On pourrait s’attendre logiquement à “elles me suivent parce qu’elles entendent ma voix” ou “elles entendent ma voix et me suivent obligatoirement”. Mais entre les deux verbes entendre et suivre, Jésus insère “je les connais”. Même si on voulait introduire un lien de causalité, il n’est du coup pas clair si les brebis le suivent après avoir entendu sa voix, ou parce que Jésus les connaît. Remarquez bien que Jean n’a pas écrit qu’elles connaissent Jésus. Les brebis suivent Jésus librement et sans connaissances requises préalable. Il n’y a pas de donnant-donnant ici. Et, de la même manière, Jésus ne donne pas la vie éternelle aux brebis parce qu’elles le suivent ; elles ne suivent pas pour l’obtenir non plus.

Le reste du passage semble confirmer ce soin apporté par le texte de décrire une relation de gratuité et de liberté : le berger qui connaît ses moutons, les tient dans sa main sans demander de contrepartie et sans avoir des exigences particulières. Je me demande même si c’est si important de suivre. Il est plutôt question d’aimer, de tenir et de protéger sans aucune demande d’un comportement dicté. C’est presque comme si le berger ne se fait aucun souci d’être suivi ou pas - les brebis qui lui ont été confiées par le Père ont reçu la vie éternelle sans avoir rien fait. Jésus ici est le contraire d’un gourou, ou d’un chef charismatique qui garderait sa place par la peur inculquée à ses adeptes qu’ils seraient perdus sans lui.

C’est exactement ce que Blake dit dans son petit poème intitulé “The Shepherd” - “Le Berger”.

Le premier strophe est (je lis en anglais) :

How sweet is the Shepherds sweet lot,

From the morn to the evening he strays:

He shall follow his sheep all the day

And his tongue shall be filled with praise

Ce qui se traduit littéralement par , 

Qu’il est doux le sort doux du Berger

Il se promène du matin au soir

Il suit ses moutons toute la journée

Et sa langue sera remplie de louange

C’est la façon du poète de réagir à cet extrait exact Jean. Il a saisi l’égalité radicale entre les deux : le berger ici suit même les moutons au contraire du texte biblique, et Blake trouve que c’est une chance pour lui. C’est lui qui chante la louange des moutons. En plus, le mot “stray”, que j’ai traduit pas “se promener”, est plus proche du verbe “errer” - de quitter le bon chemin, même de se tromper. Jésus n’est pas un maître qui impose des règles, qui crée une communauté fermée, disciplinée et exclusive et qui veut être au centre en tenant les rênes. En créant l'humain, Dieu le Père lui a donné la liberté d’errer comme le berger, de suivre comme les moutons, de découvrir un monde vaste et beau à sa façon. Et le Fils se tient en effet au milieu, comme sur le tableau de Van Eyck, basé sur le texte de l’Apocalypse, mais pas en tant que chef. Il s’y tient en Agneau sacrifié.

Le Berger devient l’Agneau. Le plus grand devient le plus humble, le plus faible, et il se laisse tuer par un procès bâclé et injuste pour montrer aux humains ce que l’amour veut dire. Jésus devient homme ; il accepte de devenir comme les autres. Si vous regardez le poème intitulé “The Lamb”, il est intéressant de noter comment l’enfant se confond presque avec le troupeau. Il est de la même couleur blond avec des cheveux bouclés, il tend la main vers l’agneau qui s’approche de lui. Et les moutons dans l'arrière-plan forment un ensemble, presque comme un nuage. C’est pareil pour l’autre poème. La prairie où paissent les moutons est en effet constituée de leur laine. Il ne reste que les arbres en arrière plan. Ces moutons sont tous identiques et on pourrait croire sans identité propre. 

Comment réagir à ces textes bibliques et leur interprétation par des poètes et des peintres ? Ma première réaction instinctive à cette idée, c’est de ne pas m’identifier avec les moutons. J’aime bien mon individualité, j’aime bien faire les choses à ma façon, j’aime l’idée de suivre mon propre chemin. Mais si Jésus est devenu l’un des membres du troupeau, et en plus le plus faible parmi eux, qu’est-ce que cela signifie pour moi en tant qu'individu? C’est peut-être une question de la place que je prends (j’occupe dans le monde, la société et dans mon entourage). Jésus dit bien que le Père est plus grand que tous, que c’est lui qui lui a donné les brebis - donc l’humanité, et que personne ne peut les ravir de sa main. Nous tenons tous dans la main de Dieu, qui est aussi la main du Fils, qui s’est fait plus petit que tout homme. C’est un peu comme le troupeau de moutons dans le cadre formé par les par les plantes sur les deux images de Blake. Il n’y a pas de compétition pour cette place, car cet espace est infini au contraire des gravures, et il n’y a pas de rang ni de hiérarchie ni de préséance. Mais c’est un espace partagé. Je ne suis ni plus grand ni plus petit que mon voisin. Si mon individualité pousse mon voisin vers le côté, si mes désirs le privent de son espace, si mon jugement lui impose une place précise, je ne fais pas pleinement partie de l’humanité en Christ. Dans la main de Dieu, le roi a la même valeur que le serviteur, l’adulte que l’enfant, le riche que le pauvre ; ou dans les paroles de Paul dans sa lettre aux Galates, Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus Christ. Et c’est là le dernier aspect remarquable de ce petit texte. Tout converge vers l’unicité. La main du Fils est la main du Père car ils sont un. Tous les moutons qui suivent le berger et que le berger connaît sont un. Mais cette union des uns avec les autres et avec le Seigneur n’enlève pas la singularité de chaque individu. Un berger qui laisse ses moutons le suivre librement, et qui va aussi à la recherche de la brebis perdue ; un Dieu qui a créé un monde vaste où chaque individu naît avec une combinaison de chromosomes unique, ce Dieu ne veut pas et ne peut pas exiger une uniformité digne des dystopies les plus effrayantes - des armées de clones, des populations réduites à une masse triste et grise, une existence monotone soumise aux caprices d’un dictateur. C’est donc à chacun de nous d’aller plus loin que notre individualité, et d’accepter ce en nous qui est semblable à l’autre, d’y reconnaître les mêmes causes de joie et de tristesse ou de frustration que les autres. C’est de pleurer avec celui qui pleure et de rire avec celui qui rit. 

Oui, je fais partie du troupeau, et de loin, on ne distingue pas mon moi, mon ego, car j’accepte de faire partie de l’ensemble. Mais je ne disparais pas non plus dans la masse, car je suis dans la main de Dieu avec les autres qui ont entendu sa voix , et Il m’a promis par le prophète Ésaïe qu’Il ne m'oubliera point car il a inscrit mon nom dans sa main. Mon nom à moi, comme le nom de chaque autre être humain.

J’entends sa voix ; il me connaît ; je le suis avec mes frères et mes sœurs.  Il nous donne la vie éternelle; et nous ne périrons jamais, et personne ne nous ravira de Sa main.

AMEN

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